Jeanne Malivel

L’âme du mouvement Ar-Seiz-Breur

1895-1926

Texte et photographies: Olivier Levasseur

Jeanne Malivel artiste Ar Seiz Breur.

Le nom de Jeanne Malivel reste attaché au renouveau des arts de Bretagne et au groupe Ar Seiz Breur. Disparue à l’âge de 31 ans, elle laisse une œuvre certes inachevée mais importante et qui s’impose comme une évidence. Petite de taille, l’air modeste, un visage éclairé par des yeux qui vous fixaient avec conviction. Silhouette imprécise peut-être, aux yeux des gens superficiels, mais qui se transformait en un instant si, dans la conversation, entraient en jeu des questions d’art ou des thèmes sociaux. Les yeux agrandis, Jeanne s’agitait de toute sa personne. Elle parlait d’une voix calme en apparence, mais en réalité chargée de passion intérieure ; pour ponctuer ses paroles, elle avait un geste de la main droite que ses amis n’oublieront pas. Et cette petite demoiselle prenait tout à coup figure de chef… C’est en ces quelques lignes que le critique Maurice Facy décrit Jeanne Malivel en 1927. Toute sa vie, elle lutta pour s’imposer comme une femme artiste. Le terme de féministe est peut-être trop fort, mais on trouve dans le cercle amical de sa famille Marie Le Gac-Salonne (1878-1974) figure du féminisme et dont les thèses reçoivent un écho favorable auprès de Jeanne. Catholique convaincue, animée d’une foi profonde, elle consacre une part non négligeable de son travail à l’art sacré. Enfin, originaire de Loudéac, elle est l’une des rares artistes proches du mouvement breton à revendiquer explicitement son appartenance à la Haute-Bretagne et à la culture gallèse.

Portrait de Jeanne Malivel artiste bretonne moderne. Membre du groupe Ar Seiz Breur. René-Yves Creston, Gaston Sébilleau, Joseph Savina.

Autoportrait de Jeanne Malivel

ORIGINES FAMILIALES

Jeanne Malivel naît le 15 avril 1895 à Loudéac, dans une famille installée à Loudéac depuis 1862. Son père Albert (1865-1942) est un notable de la ville, commerçant parfois fantasque très ouvert d’esprit et très sensible à la dimension régionale tandis que sa mère Marie Hermange (1870-1960) tient véritablement les rênes de la maison. Jeanne est la seconde d’une famille de quatre enfants[1]. Sans le soutien constant et la confiance absolue que lui manifesteront toujours ses parents, nul doute que Jeanne Malivel n’aurait jamais pu connaître un tel parcours personnel et artistique.

 LA FORMATION ARTISTIQUE

Elle est envoyée à Rennes poursuivre ses études au lycée de l’Immaculée Conception car ses parents l’ont confiée à une cousine éloignée Louise Gicquel. Professeur de dessin, c’est elle qui forme en grande partie Jeanne à la découverte du monde de l’art. Elle séjourne en sa compagnie à l’Académie Julian pour un mois à Paris au printemps 1914.

Le déclenchement de la guerre va interrompre cette formation ; elle devient – tout comme sa sœur Marie-Charlotte et avec l’autorisation de son père-, infirmière à l’hôpital de Loudéac, soignant les soldats et réalisant divers croquis et quelques toiles. Elle décide en 1916, en accord avec ses parents, de suivre les cours de l’académie Julian, l’une des rares à accepter alors des femmes.  L’expérience tourne court en raison des bombardements aériens et elle rentre à Loudéac pour y reprendre son poste d’infirmière.

A la fin du mois de janvier 1917, elle revient à l’académie Julian où elle est encouragée par Octave Guillonet (1872-1967) ou encore André Baschet (1862-1941). Elle est en Bretagne au début du mois de mai, et participe en juillet au Salon d’Art régional organisé à Pontivy où ses travaux, exposés pour la première fois, sont remarqués par la critique.  Elle met surtout à profit son séjour à la pointe du Roselier au cours de cet été 1917 afin de préparer le concours d’entrée à l’École Nationale des Beaux-Arts qui se tient en novembre.  

Elle rejoint Paris en mois d’octobre, visite musées et expositions et suit à nouveau les cours de l’Académie Julian.  

LA GILDE NOTRE-DAME

Le 8 novembre 1917, elle adhère à la Gilde Notre-Dame. Cette association, fondée en 1912, se compose d’artistes désireux de travailler ensemble à la rénovation de l’art chrétien. Elle organise des expositions d’œuvres de ses membres ainsi que des causeries, des conférences, des concerts auxquels Jeanne assiste régulièrement. La fréquentation de cette Gilde Notre-Dame lui permet de rencontrer le peintre Maurice Denis mais aussi le journaliste Pierre L’Ermite (1863-1959). Elle y découvre la littérature de Léon Bloy (1846-1917) qui devient son auteur favori. C’est avec deux camarades des Beaux-arts, toutes deux membres de la Gilde, qu’elle loue en 1919 un atelier rue Notre-Dame des Champs (14ème arr.) : la sculptrice Renée Trudon et le maître-verrier Marguerite Huré (1896-1967). Elle adhère aussi à l’association des étudiants catholiques des Beaux-Arts. Elle est également approchée par Maurice Denis et Georges Desvallières lorsque ceux-ci fondent les Ateliers d’Art sacré en 1919. Elle va les fréquenter mais refusera toujours de les intégrer formellement. 

LES BEAUX-ARTS DE PARIS

Deux fois reçue au concours d’entrée à l’école des Beaux-arts de Paris, Jeanne Malivel va y suivre un cursus pour le moins atypique, n’achevant pas un parcours dans lequel elle ne se reconnaît pas.

En novembre 1917, elle passe donc le concours d’entrée où elle est reçue au 14ème rang. Lors de l’année scolaire 1917-1718, elle est inscrite dans l’atelier de Ferdinand Humbert (1842-1934), qui assure l’enseignement de la peinture auprès des femmes entre 1900 et 1929. Sa présence y est attestée au mois de décembre 1917 puis en mars, mai et juin 1918. Revenant en Bretagne à plusieurs reprises au cours de cette année, elle rend visite à sa sœur Marie-Charlotte infirmière à Perros-Guirec et c’est là qu’elle rencontre Jeanne-Amy Coroller (1892-1944) et que le projet commun d’une histoire de Bretagne naît. La situation militaire s’améliorant, ses parents l’autorisent à revenir à Paris, mais elle est obligée de repasser le concours d’entrée et s’y classe alors 4ème, lui permettant de réintégrer l’atelier Humbert qu’elle ne fréquente qu’en puis décembre 1918 et février-mars 1919.[2]. Nous pouvons donc considérer qu’à partir du mois d’avril 1919, elle ne suit plus les cours des Beaux-Arts.

C’est qu’en effet, elle n’est pas satisfaite d’un enseignement trop académique. Paris sera pour elle, et bien qu’elle déclare à de nombreuses reprises ne pas y apprécier la vie, l’occasion d’y parfaire sa culture artistique. Elle y visite les musées, les salons (dont elle laisse parfois des comptes rendus acerbes), et se rend dans les bibliothèques étudier des gravures anciennes –notamment irlandaises- dont elle s’inspire. Ses amis sont alors la peintre ukrainienne Mania Mavro (1889-1969), le maître verrier Jacques Le Chevallier (1896-1987), collaborateur de Barillet, mais aussi et surtout la peintre Anne Le Vaillant, future Le Goaziou (1893-1980) qui deviendra l’une de ses plus chères amies.

Jeanne Malivel, Bretonne de Paris

C’est à Paris que Jeanne va s’engager dans le mouvement breton renaissant. Installée dans le quartier de Montparnasse, elle y rencontre de nombreux compatriotes, dont Olivier Mordrelle et Morvan Marchal qui ont fondé le « Groupe régionaliste Breton/ Unvaniez Yaounkiz Breiz », dont le journal est Breiz Atao.  Elle y adhère avec enthousiasme le 4 octobre 1919 et organise dans son atelier les réunions du groupe : j’aide comme je peux à fonder la section de Paris. Les réunions ont lieu deux fois par semaine à mon atelier. Elle y observe, parfois amusée, parfois découragée les relations souvent exécrables entre membres, leurs discours emphatiques et pour tout dire, l’inefficacité de ce qui n’est alors qu’un groupuscule militant…

Olivier Mordrelle témoigne de ces débuts : s’il est vrai que Breiz Atao a pris forme à Paris, c’est dans l’atelier de Jeanne Malivel que le phénomène s’est produit. C’était le point de ralliement, où sous la présidence de cette petite femme ardente au regard de nonne (…) ; Malivel restait aussi étrangère à la Ville Lumière que si elle n’avait pas quitté son Loudéac natal. Elle s’était vouée à la renaissance du vitrail et de la gravure sur bois dans le cadre de la renaissance bretonne tout court. Pour elle, l’un n’allait pas sans l’autre. Elle était si pure qu’il nous aurait semblé sacrilège de la regarder comme une femme. Nous savions qu’il y avait des Bretons à Paris, mais nous ne savions pas où. Chacun de nous partait à la chasse et nous ramenions notre Breton chez Malivel. C’était tantôt un écolier, tantôt un soldat ou un employé de métro[3]. Au cours de ces rencontres, elle fréquente bien entendu d’autres artistes, notamment James Bouillé (1894-1945) ou René Quillivic (1879-1969).

Nombre de ses projets ultérieurs, nombre de ses futurs collaborateurs sont des proches du mouvement régionaliste breton (FRB ou URB) que ce soit Jules Henriot, Julien Bacon, Christian Lepart ou bien d’autres. Régionaliste convaincue, Jeanne Malivel n’est en rien séparatiste et si elle se revendique bretonne, elle n’en dénie pas sa dimension française. Elle récuse toute idée nationaliste : pour elle, la Bretagne est une partie de la France, même si ses spécificités et ses cultures doivent être reconnues. Elle ne dit pas autre chose lorsqu’elle précise à Jeanne Coroller en mars 1923 : vous savez bien que je n’épouse pas les idées de Breiz Atao et que je porte très fièrement l’effigie de Jeanne d’Arc, ne vous en déplaise. (…) Ce n’est pas la France que j’ai voulu blâmer, mais les gouvernements, qui sont aussi détestables à toutes les époques et dans tous les pays. Ne me croyez pas pour autant anarchiste, car de deux maux, il faut toujours choisir le moindre, ou le subir. Elle participe ponctuellement à des expositions de l’U.R.B. ou de la F.R.B. à Guérande, à Morlaix ou à Fougères, exposant divers travaux qui sont toujours remarqués.

Elle quitte définitivement Paris à la fin de l’année 1921, revenant s’installer dans la propriété familiale de Loudéac, Ker Glaou. Elle y installe un atelier dans une dépendance et organise à la fin du mois d’octobre 1922 la pendaison de crémaillère de son atelier de Loudéac, qui devient alors l’épicentre de sa vie, même si elle continue à se rendre ponctuellement dans la capitale.

EXPOSITION LOUIS CARRE 1923

Au printemps 1923, Jeanne Malivel expose seule, pour la première et dernière fois. C’est le galeriste Louis Carré, alors installé à Rennes, qui ne présente pas moins de 100 de ses œuvres. Il s’agit de 14 peintures, d’une trentaine de gravures mais aussi d’une vingtaine de travaux d’aiguille ainsi qu’un tapis. Le reste de l’exposition est constitué de croquis et d’aquarelles. Paul Desgrées du Lou considère que l’on est loin des mièvres productions que nos modernes adolescentes élaborent entre une leçon de piano et une leçon de couture, (…) l’imprécise poésie qui se dégage du jeune talent de Mlle Malivel plaît justement par son absence de féminité trouble et par cette vigueur un peu rude qui crie (notamment dans les gravures) un âpre et curieux contraste entre l’auteur et l’œuvre[4].

 JEANNE MALIVEL, ENSEIGNANTE A L’ECOLE DES BEAUX-ARTS DE RENNES 1923-1925

En 1916, Jules Ronsin (1867-1937) prend la direction de l’école des beaux-arts de Rennes et Il va créer en 1919 un enseignement régulier pour les jeunes filles, avec « atelier de travaux pratiques, broderies, dentelles ». Cette section est organisée sur le modèle des garçons et d’après les mêmes principes : cet atelier y remplace l’atelier de peinture ou de sculpture pratique et les travaux y sont exécutés d’après les compositions des élèves.  Une section est destinée à la préparation du diplôme de professorat de dessin. L’ouverture d’une telle section est en fait à mettre au crédit de l’inspection générale des beaux-arts qui attribue des subventions plus importantes aux écoles qui acceptent la création de sections d’art décoratifs. Rennes est l’une des seules écoles de France à posséder ses propres ateliers, même si la fréquentation reste numériquement peu importante[5]. Le cours est alors confié à Renée Quesney, qui en démissionne à la fin de l’année 1922.

La candidature de Jeanne Malivel, proposée par Jules Ronsin est acceptée en février 1923 et elle prend ses fonctions en mars. Elle y apporte une certaine nouveauté, puisqu’elle ne se contente pas d’enseigner des travaux aux jeunes filles : elle y enseigne aussi la gravure sur bois et rend ce cours mixte. Les Inspections rendent également hommage à son travail et à celui de ses élèves : Mentionnons avec plaisir l’importance et la bonne direction que Mlle Malivel a su donner à son cours de broderie, gravure sur bois etc… IL y a là des recherches d’une qualité d’art déjà bien marquée, des réalisations intéressant les diverses industries d’art. Jules Ronsin, témoigne de ce que, malgré sa jeunesse, elle eut vite acquis sur ses élèves, garçons et filles, l’autorité nécessaire, tant elle apportait avec elle une forte résolution en même temps qu’une grâce souriante qui ne l’abandonnait jamais. Les résultats dépassèrent toute attente. Dans le trop court espace de temps que dura son enseignement, elle forma une pléiade de jeunes graveurs dont certains feront sans doute un jour honneur à la Bretagne. Parmi ces élèves retenons les noms de Louise Salonne (1903-1990), d’André Meriel-Bussy (1902-1984), d’Edouard Mahé (1905-1992) et de René Salmon de la Godelinais (1908-1986) qu’elle considérait comme le plus doué d’entre eux.

Pourtant Jeanne Malivel a du mal à supporter l’ambiance rennaise, l’académisme qui règne aux Beaux-Arts et le professorat qui lui pèse. Elle habite en effet Loudéac et ne séjourne à Rennes qu’un ou deux jours par semaine, multipliant les trajets en train. Dès le mois de décembre 1923 elle annonce : j’ai toujours l’intention de donner ma démission aux Beaux-Arts de Rennes mais cela n’est pas encore fait. A la fin de l’année 1924, tandis qu’elle est en pleine préparation de l’exposition des Arts décoratifs, Jeanne Malivel s’adresse à Gaston Sébilleau : Je n’ai pas le temps de chercher des modèles de meubles parce que… pour couvrir des quantités de frais, j’ai pris ma roue de secours… Ma roue de secours, ce sont les leçons : j’ai ouvert un cours le jeudi matin en avertissant que le cours ne durerait pas tout le temps (parce que c’est le métier que je déteste le plus au monde…) et je fais payer cher cette corvée.

ETE 1923 : LA NAISSANCE DES SEIZ-BREUR

Si la naissance officielle du groupe des Seiz Breur se fait lors du pardon du Folgoët en septembre 1923, les Creston et Malivel se sont sans doute rencontrés avant. Les points de convergence sont en effet nombreux : ils ont fréquenté les Beaux-Arts à la même période, les cours de breton du Cercle celtique de Paris, partagent aussi les mêmes fréquentations dans le milieu des Bretons de Paris et habitent non loin les uns des autres. Même sans être alors des proches, ils savent se situer dès la fin de l’année 1922, mais la rencontre plus formelle se fait sans doute au cours du printemps 1923.

Jeanne Malivel Ar Seiz Breur projet de textile. Expertise Jeanne Malivel René-Yves Creston Joseph Savina

Au mois de juillet, elle assiste avec ferveur à la grande troménie de Locronan, comme en témoigne l’écrivain Alexandre Masseron (1880-1959) : je vois se glisser par les rangs une jeune artiste, dont je connais le beau et vigoureux talent de graveur sur bois, Mlle J.M. Elle tient dans sa main droite son chapelet et son crayon, de la main gauche son bloc de papier à dessin. Entre deux Ave Maria, elle jette quelques traits sur ses feuilles, de simples repères pour fixer un souvenir, notant sommairement les lignes et les valeurs, mais plus attentive encore à la profonde émotion religieuse qui se dégage de cette épique randonnée. Dessiner en marche de pèlerinage, quand les grains du chapelet entourent – et à parler au sens propre- le bois du crayon, n’est-ce pas un charmant symbole de la renaissance de l’art chrétien ? La frêle silhouette de Mlle J. M., passant à travers les vieux glazik et les coiffes des paysannes de Bretagne, et joignant dans sa course rapide la prière et le travail, me reste fixée dans l’esprit comme la plus gracieuse des visions de la troménie[6].

Comme elle l’écrit à Jeanne Coroller, dès le pardon du Folgoët, nous nous retrouvions toute une bande dans un petit restaurant où avait lieu le rendez-vous (…). Nous avons élaboré des tas de projets les Creston et moi, le journal pour la mode du costume national, le pavillon de 1925 (…). Rien n’est meilleur que de sortir de chez soi pour faire éclater et fleurir les idées latentes. Elle se rend alors à la Turballe et à Nantes pour travailler sur le premier projet global, véritable manifeste du groupe- d’un « petit pavillon breton » qui comprend le bâtiment, mais aussi l’ensemble de son aménagement.

LE PROJET DU PAVILLON DE LA BRETAGNE

Jeanne dépose le projet initial des Seiz Breur le 6 octobre 1923 et elle peut s’adresser à Jean-Julien Lemordant et le prévenir que, nous ne sommes peut-être pas des gens très pratiques et très expérimentés mais ce plan peut être amélioré, retouché, modifié. Notre esprit est de constituer un ensemble bien en harmonie dans toutes les branches et qui soit : 1°- Breton, 2°- Moderne, 3°- Populaire. Et nous avons pour nous de l’enthousiasme. Dans notre corporation, on ne sait pas toujours faire des phrases, mais très simplement nous vous considérons comme le chef du clan des artistes bretons… Et nous vous demandons votre appui… Même si les relations avec Jean_Julien Lemordant sont tendues et souvent compliquées, il n’en reste pas moins que celui-ci, sur les conseils de Ronsin, a permis aux Seiz Breur de candidater.

Dans l’urgence, les relations entre le groupe et Lemordant se crispent : les subventions se font attendre et il a fallu (…) avancer les sommes aux artisans : nous sommes dans le marasme, mes camarades et moi et, à la veille de donner un gros effort, il nous serait vraiment bien nécessaire de connaître si nous allons vers la faillite morale et matérielle. S’il en était ainsi, mieux vaudrait pour nous travailler tranquillement en Bretagne, car Dieu sait que nous sommes désintéressés. Le second projet date de septembre 1924 et la salle qu’on leur attribue finalement est de forme triangulaire, ce qui provoque l’ire des membres du groupe. Jeanne Malivel intercède auprès de Lemordant, lui faisant parvenir les plans de ses meubles qui doivent former « un genre d’auberge », la salle de l’Osté.

Au cours du mois de janvier 1925, le projet n’est toujours pas fixé définitivement, et l’aménagement intérieur initial est remanié. Les tensions deviennent vives entre membres du groupe, notamment entre René-Yves Creston et Jeanne Malivel. Les meubles et éléments de décoration arrivent peu à peu, mais Jeanne n’assiste pas à l’inauguration du pavillon le 29 juillet 1925, étant alors en voyage de noces. Creston annonce alors à Sébilleau que Jeanne a définitivement quitté le groupe : Les tensions et les rancœurs, liées à des questions financières, des préséances ou à des attributions, ont mis fin à l’aventure des Seiz Breur dans leur première configuration.

Jeanne Malivel projet textile monogramme Ar Seiz Breur. Expertise et estimation Jeanne Malivel et Ar Seiz Breur. René-Yves creston Joseph Savina

Projet de textile dans le style Ar-Seiz-Breur

VITRE

Jeanne Malivel se marie à Loudéac le 16 juillet 1925 avec Maurice Yung, contrôleur des contributions directes, alors en poste à Loudéac qu’elle a rencontré quelques semaines plus tôt. C’est un véritable coup de foudre qui bouleverse sa vie. Ce dernier est muté à Vitré à la fin de cette même année et le couple déménage alors dans une maison rue de Beauvais. Jeanne va la décorer de toiles tendues sur les murs et s’occuper de l’aménagement intérieur, en liaison avec Gaston Sébilleau qui doit réaliser les meubles. Elle se plaint à plusieurs reprises du retard pris par la réalisation de ce mobilier. En juillet 1926, devant la dégradation de son état de santé, elle doit être hospitalisée à Rennes. Enceinte et atteinte d’une para-typhoïde, elle décède à la clinique Saint-Vincent le 2 septembre 1926. Lorsque René-Yves Creston apprend sa mort, il écrit à Sébilleau : Malgré toutes les histoires que nous avons eues avec elle, cela me fait quand même beaucoup de peine car on ne peut pas oublier quand même les bons moments que nous avons eu ensemble.  

L’œuvre de Jeanne Malivel

Les travaux se concentrent finalement sur quelques années, entre 1916 et 1926, date de sa mort prématurée. Son œuvre est foisonnante, et suit finalement deux axes principaux : les travaux d’illustrations et la rénovation des arts appliqués de Bretagne[7].

TRAVAUX D’ILLUSTRATION

Ses premières illustrations publiées remontent à 1916 pour une brochure consacrée par l’abbé Roulé au pèlerinage de Querrien, non loin de Loudéac, mais c’est véritablement la gravure sur bois qui va la faire connaître. Selon les sources ses premiers bois remontent à 1917 ou 1918, lorsqu’elle entreprend de réaliser un Saint-Maurice (patron de Loudéac) qui sera édité par Kornog en 1928. C’est la lecture d’ouvrages anciens à la bibliothèque Forney qui l’aurait inspirée. Autodidacte en la matière, son œuvre comporte sans doute de 150 à 200 réalisations. 

L’HISTOIRE DE NOTRE BRETAGNE, 1918- 1922

Nous avons déjà signalé que c’est la rencontre entre Jeanne Coroller et Jeanne Malivel en 1918 qui va faire naître le projet d’Histoire de Bretagne. L’artiste se met rapidement au travail, mais la totalité des 74 illustrations (bien que 72 soient annoncées) sont réalisées sur un période de quatre années (de 1919 à mars 1922). L’éditeur Camille Le Mercier d’Erm lui commande telle ou telle illustration, lui donne des conseils iconographiques pour s’en inspirer et n’hésite pas à lui demander de les rectifier lorsqu’il relève une inexactitude ou une approximation.

Jeanne Malivel Histoire de notre Bretagne livre illustré. Ar Seiz Breur. René-Yves Creston Joseph Savina. Expertise et estimation Jeanne Malivel seiz Breur

Illustrations de Jeanne Malivel

En 1920, Jeanne Malivel réalise pour lui les emblèmes de la revue « Les Argonautes » et celui de la maison d’édition « à l’enseigne de l’Hermine ». Elle va aussi proposer une illustration pour le journal « Dinard-Plage » que projette Le Mercier. Bien que ce périodique soit finalement abandonné, l’illustration est réutilisée par l’éditeur afin de servir de monnaie chez les commerçants de Dinard.

Lorsque sept de ses bois sont utilisés en 1921 sans son autorisation afin d’illustrer « La Bretagne libertaire », Jeanne en est durablement froissée et les relations entre le trio éditorial deviennent plus difficiles. Le texte de Jeanne Coroller est parfois la source d’incompréhensions entre l’auteur et l’illustratrice. Quoiqu’il en puisse être, l’ouvrage finit par paraître en octobre 1922 sous le pseudonyme de C. Danio, avec une préface de François Vallée (1860-1949) que les deux femmes connaissent bien.

Ce livre ne laisse pas indifférent la critique qui se divise en deux camps : certains applaudissent un texte violemment anti-français, d’autres vont le critiquer pour les mêmes raisons. Tous cependant reconnaissent l’originalité novatrice du travail d’illustration, y compris dans la presse nationale : Les bois de Mlle Jeanne Malivel, qui a illustré le livre avec tant de talent et tout son cœur d’ardente bretonne sont charmants. Ou plutôt non, ils ne sont pas charmants – mot banal- ils sont forts et rudes, ils ressuscitent admirablement les âpres scènes de l’histoire d’Armorique ; et une certaine naïveté, peut-être voulue, quand il s’agit des légendes, leur communique une saveur et un pouvoir de résurrection qui nous fait penser à de petits vitraux. Voilà un travail qui aidera sans doute la thèse bretonne, car la foi et le talent sont d’excellents adjuvants pour une cause, quelle qu’elle soit[8].

Jeanne sera très touchée par les critiques et refusera toujours de voir ses bois réédités, notamment « L’union de la Bretagne à la France » qui sera l’un des plus commentés.

FEIZ HA BREIZ

Jeanne se rapproche en 1921 de la revue catholique bretonne Feiz ha Breiz dont le directeur est l’abbé Perrot, mais il faut attendre 1923 pour qu’une une collaboration plus intense se développe. Elle tente de moderniser la maquette de la revue mais n’y réussira pas entièrement, bien qu’elle redessine la couverture. Ses gravures restent cantonnées à de très petits formats qui cohabitent avec des reproductions de dessins d’auteurs au trait bien moins heureux. Après la mort de Jeanne Malivel, ses bois seront réutilisés pendant de nombreuses années.

Autres réalisations

Elle donne des gravures et des dessins pour le petit guide du syndicat d’initiatives de Loudéac et pour la pièce de théâtre  Raoul de Fougères, écrite par André Le Marchand paraît en 1923,  illustrée de 15 gravures reprenant parfois celles publiées dans l’ouvrage de Danio. Elle va aussi concevoir en 1924 la couverture d’une géographie du Finistère de François Cornou, éditée par ses amis Le Goaziou. Elle travaille également sur des maquettes de couvertures pour les éditions Buhez Breiz à la même période et, plus ponctuellement, sur des affiches ou des publicités ou même un menu.

Vers 1923, elle réalise une remarquable série de bois gravés représentant des arbres ou diverses natures mortes, souvent inspirés par son environnement loudéacien.

LES PROJETS INACHEVES

Plusieurs projets n’ont pu être achevés par Jeanne. Elle s’était enthousiasmée à la lecture des poèmes de Jean-Pierre Calloc’h (-1917) en 1922 et aurait souhaité les illustrer, mais elle ne mènera pas ce projet à terme.

Fervente chrétienne, elle découvre le texte de Gabrielle Basset d’Auriac (1888-1924), La très belle histoire de Sainte-Radegonde, reine des Francs, qui est édité en septembre 1924 par les éditions catholiques marseillaises Publiroc. Ayant été en relations épistolaires avec l’auteur depuis le printemps 1923, elle aurait souhaité en réaliser une version de luxe, mais seuls quelques projets de couvertures subsistent, bien qu’elle se soit rendue à Poitiers pour s’inspirer des sculptures de la cathédrale.

L’édition du Conte des sept frères est l’un des projets qui aura le plus mobilisé Jeanne Malivel, qui l’aurait recueilli auprès de sa grand-mère originaire d’Ille-et-Vilaine. Il s’agit pour elle de mettre en valeur ses attaches et le patrimoine du pays gallo, trop souvent négligé par le mouvement breton et qu’elle revendique fièrement. Elle le fait paraître en feuilleton dans le Petit Libéral de Loudéac entre avril et mai 1922. Elle compte l’éditer en version de luxe, mais les relations s’étant détériorées avec Camille Le Mercier d’Erm, c’est à la librairie Le Goaziou qu’elle confie l’édition de cet ouvrage pour lequel elle va réaliser de nombreuses maquettes qui ne voit finalement pas le jour. Signalons enfin qu’elle avait conçu un autre projet, un « essai de dico du patois gallo de Loudia », qui restera lui aussi inachevé.  

JEANNE MALIVEL ET LES ARTS APPLIQUES

LE MOBILIER 

Le mobilier occupe une place importante dans l’œuvre de Jeanne Malivel qui conçoit à partir de 1919 un certain nombre d’ensembles, que ce soit pour des commandes de particuliers ou de son entourage familial ainsi que pour la salle de l’Osté pour l’exposition de 1925.

Trois hommes ont contribué à leur réalisation : Julien Bacon (1892-1980)  de Caurel, Christian Lepart (1902-1944) de Rochefort-en-terre et enfin, Gaston Sébilleau (1894-1957) de Redon.

Dès 1921, elle fait réaliser par Julien Bacon, successeur d’Ely-Monbet à Caurel, une salle à manger pour sa sœur Marie-Charlotte dont le décor allie des motifs rayonnants et des lignes brisées. Elle fait aussi réaliser du mobilier pour le studio qu’elle aménage en atelier à Loudéac, en partie par son propre père. Bacon va aussi travailler sur une commande de salle à manger pour une amie de Jeanne dont les ornements sont beaucoup plus géométriques. Elle collabore également avec Christian Lepart à partir de 1923, mais celui-ci sera évincé des Seiz Breur au profit du redonnais Gaston Sébilleau avec lequel elle va créer les salles à manger de l’Osté et de son amie Anne Le Goaziou à partir de 1924. La rencontre avec Sébilleau se fait à la fin de l’année 1923 et très vite, suite à un premier contact, elle lui répond en octobre : je crois que nous partageons la même sainte horreur pour tout ce qui est de la « biniouserie » et les sempiternels fuseaux. Nous nous entendrons donc bien facilement sur ce point ! (…) Il est possible que vous ayez la visite de M. le Part qui habite Rochefort en terre et qui pourrait vous donner de vive voix quelques explications indispensables au sujet de l’exposition de 1925 et de notre projet, mais j’espère bien aussi vous en donner moi-même, ce qui me serait très agréable.

Les meubles qu’elle dessine alors sont décorés de motifs gravés et sont parfois polychromés (gris sombre ou bleu guimet). Elle recourt fréquemment à des tissus d’ameublement – en particulier du garreau- qui peuvent être bleus, verts, violets ou rouge…

Elle fait aussi réaliser les clous pour fixer les tissus et dessine également la quincaillerie d’ameublement : entrées de serrures, charnières et même les clés. Une partie est réalisée dans un garage de Loudéac, une autre à l’école d’arts appliqués de Saint-Nazaire.

Jeanne Malivel veut aussi créer des meubles bon marché, en « bois de caisse » pour équiper des cuisines, des cabinets de toilettes ou encore des studios. Elle conseillera d’ailleurs Louise Salonne pour l’aménagement de son atelier.

Mais Jeanne ne s’arrête pas là, et elle envisage, tout comme Creston, de fournir des ensembles mobiliers pour des villas du littoral qui auraient été réalisés par Gaston Sébilleau. Elle se rend d’ailleurs à Sables-d’Or pour y rencontrer les initiateurs de la station et tenter de passer un accord avec eux sans que ce projet se concrétise, en raison de l’état de santé de Jeanne qui se dégrade alors.

Notons enfin qu’une salle à manger sera commandée à Christian Lepart en 1926, sur le modèle de celui de l’exposition des arts décoratifs, mais qu’elle ne sera finalement livrée qu’en 1930…

LES décorations MURALES

Outre les tissus d’ameublement et des papiers peints à motifs bretons et celtiques réalisés en 1921, Jeanne va aussi travailler sur des décorations murales, tout d’abord pour le patronage de Loudéac entre 1918 et 1924 pour lequel elle propose une vaste représentation de 22 saints de Bretagne. Pour décorer son atelier, réalise des fresques qui évoquent l’histoire de l’histoire de l’humanité, l’âge d’or représentant les membres de sa famille. Elle décorera ensuite le salon de sa sœur Yvonne de la légende de Morvan Leiz Breiz et sa demeure de Vitré de plusieurs châteaux bretons.  

LE TEXTILE

Loudéac se situe à proximité immédiate de l’ancienne fabrique des toiles Bretagne, qui n’existe plus que de manière résiduelle au début du XXème siècle. C’est donc logiquement que Jeanne Malivel va se pencher sur ce secteur d’activité, qui lui permet de répondre à plusieurs de ses objectifs. Il s’agit pour elle de fournir du travail à des artisans ruraux dans un cadre rénové, mais aussi de permettre à une population féminine de trouver une activité sur place et d’éviter ainsi une émigration qui est alors une réalité. Ces objectifs sont de plus en phase avec la volonté des comités des arts appliqués de favoriser ce renouveau artisanal.

textile d’ameublement

L’artiste loudéacienne va avant tout travailler sur une production locale, le garreau (toile de chanvre sur trame de laine). Elle s’adresse dans un premier temps à un tisserand d’Uzel, Léauté, qui ne répond finalement pas à ses attentes. Pour le garreau, j’ai fait faire un échantillonnage par un tisserand de campagne : l’effet est é-pa-tant, mais c’est malheureusement un échantillonnage (…). En décembre 1924, elle achète un métier à tisser. J’ai trouvé une jeune fille pour m’en faire à meilleur compte et m’occuper de son apprentissage : mais c’est long. J’ai loué deux autres métiers qui vont être installés incessamment au rez-de-chaussée (ceux-là pour la toile) pour exécuter les serviettes de table. Cet atelier semble promis à un développement intéressant, car il y a à Loudéac plusieurs jeunes filles qui me supplient de leur trouver du travail : il n’y a aucune situation pour elles dans un petit pays comme Loudéac. Je leur avais donc promis d’organiser quelque chose pour elles et j’avais pensé au tissage. Elles doivent finalement être formées par un tisserand d’Uzel et, lorsqu’elles seront à même de travailler sérieusement, ce qui ne sera pas avant le courant de l’été, ce seront-elles qui fabriqueront le garreau, les petits tapis… Toutes choses qui pour l’instant sont faites par le seul tisserand de campagne qui travaille encore régulièrement dans la commune de Loudéac (Jean Connan). (…) J’aurais voulu faire des rayures, mais mon tisserand Connan, à qui je fournis toutes les matières premières, après en avoir exécuté parfaitement 1m 30, m’a déclaré que « c’était trop nigeaut » et qu’il « n’était pas amateur ». Je me suis donc rabattue sur l’uni.

A l’occasion de la préparation de l’exposition de 1925, Jeanne Malivel prépare un certain nombre de projets de textiles destinés à la table : nappes, serviettes et chemins de tables, qui seront présentées dans le cadre de la section XIII, qui sont effectivement réalisés par cet atelier pour l’exposition.

En outre, Jeanne dessine des modèles de toiles imprimées qui doivent servir comme tissus muraux ou de tissus d’ameublement. Nous en connaissons des modèles à décor de feuilles ou d’écorce dont elle fait réaliser les rouleaux d’impressions en 1924, pour décorer le pavillon breton. Elle en a pourtant réalisé certains avant cette date, prévoyant dès 1919, à l’aide d’Adolphe Halard (futur mari de Renée Trudon) d’imprimer ses modèles sur des toiles bretonnes pour pouvoir renseigner des industriels de chez nous. Elle aurait été en relation avec Les Galeries Lafayette pour commercialiser ses toiles et des papiers peints

Toute sa correspondance relative au textile est marquée par la difficulté à trouver un fabriquant qui respecte ses indications pour un prix modique, que cela soit Jean Choleau de Vitré ou Jéglot-Jollives de Saint-Brieuc.

broderies

La broderie et les travaux d’aiguilles sont aussi une manière pour Jeanne Malivel de fournir du travail à des jeunes filles de la région. Elle va dessiner de nombreux modèles inspirés de la nature (la crosse de fougère en particulier) ou de motifs plus géométriques. Lors de l’exposition des arts appliqués qui se tient à l’école des Beaux-arts de Rennes en 1922, le critique Maurice Facy, remarque dans la revue « Art et décoration » : citons avec éloge deux autres artistes fort avertis, Mlle Malivel et M. Rosot, dont les compositions exécutées en dentelles de tulle, sont elles aussi inspirées de l’art linéaire celtique, mais traitées avec une plus grande liberté, ce qui leur donne encore plus de séduction. Le critique cite également les travaux de Mme Pugeault (de Vannes) qui va réaliser de nombreux modèles de Jeanne et en particulier un tapis de pied à broderie de laine qui, malgré son cachet rustique, figurerait avec avantage dans l’intérieur le plus hardiment moderne…

Le poste qu’elle occupe à l’école des Beaux-arts comprend, nous l’avons signalé, un enseignement de ces broderies et dentelles. Elle imagine en collaboration avec Suzanne Creston un journal des modes bretonnes, Ar Mod, en 1924. Cet intérêt préfigure l’association Nadoziou (les aiguilles) qui voit le jour à Nantes à l’initiative de Suzanne Creston et de Georges Robin en 1927.

Les arts du feu

faïence et poterie

Jeanne Malivel rencontre Jules Henriot en 1920 et va concevoir un service pour sa sœur Marie-Charlotte au début de l’année suivante. Ce service se compose de motifs dits « populaires » en usage au XIXème siècle qu’elle découvre lors d’une visite à la faïencerie et qu’elle réinterprète. En juillet 1922, elle travaille sur quelques prototypes après une nouvelle visite à la faïencerie Henriot.

A partir de septembre 1923, elle va concevoir sur un service (à facettes) résolument moderne décoré de dents jaunes et violettes qui doit prendre place dans le Ty Breiz et qui n’est réalisé qu’en 1925. Au cours de la même période, son amie Renée Halard-Trudon réalise deux modèles de statues, l’une de Saint-Yves, l’autre de la Vierge que Jeanne décore, mais ces pièces ne seront finalement pas éditées. Elle travaille aussi en collaboration avec Pierre Abadie-Landel à la réalisation d’un jeu d’échec pour la manufacture concurrente HB.

Pourtant, l’artiste n’est pas totalement satisfaite du travail réalisé chez Henriot et veut trouver des solutions alternatives chez des petits manufacturiers. Elle souhaite réaliser des pièces de poteries soit à Herbignac ou à Saint-Nicolas de Redon en 1923. Elles y seraient tournées et cuites dans une briqueterie proche. En 1924, elle prend contact avec Bazin de Dinan : quant aux pièces de poteries et faïences ; je me renseigne au sujet d’une certaine maison de Dinan, « Pascal Bazin » et si c’est intéressant, nous pourrions nous en inquiéter un peu. Henriot ne me dit rien de pratiquer pour nous. Il vend trop cher et fabrique mal – deux choses qui ne vont pas ensemble. Le projet de janvier 1925 évoque bien cette contribution aux côtés de celle d’Henriot, mais lorsque Jeanne reçoit le résultat de ses essais dinannais en mars, la déception est au rendez-vous : ce service est trop grossier, bon tout au plus pour des antiquaires, mais non pratique à l’usage. C’est de la terre de fer qu’il nous faut.

Les Vitraux

Jeanne a également travaillé sur plusieurs projets de vitraux, réservés à un but profane et non sacré : ils sont avant tout destinés à la décoration d’horloges et de bonnetières ou de luminaires, quelques projets existant aussi pour du mobilier de salle de bain. Son amie Marguerite Huré en concrétise certains. Elle travaille aussi avec M. Boneville de Redon.  Les cartons de ces vitraux sont généralement des paysages géométrisants.

 Les objets du quotidien

On le sait moins, mais Jeanne Malivel a aussi dessiné de très nombreux objets du quotidien, notamment couverts et verres et carafes. Elle conçoit aussi un service à hors d’œuvres en buis, corne et os. Toujours dans un souci d’une large diffusion, ils sont prévus pour être réalisés en nickel ou en aluminium, ainsi qu’en d’argent, mais elle n’aura pas trouvé d’orfèvre pour les réaliser. 

Jeanne Malivel projet de couverts. Mouvement Ar Seiz Breur. René-Yves Creston Joseph Savina. Expertise et estimation gratuites

Projet de couverts

CONCLUSION

Le décès prématuré de Jeanne bouleverse son entourage familial dont elle a toujours été très proche. Dès la fin de l’année 1926, sa famille, et notamment sa mère, initie un hommage sous la forme d’un projet d’album illsutré. Elle charge l’éditeur briochin Octave-Louis Aubert de sa réalisation. L’esprit de ce projet est ainsi résumé par sa mère Marie : le seul objectif de la famille étant de ne pas laisser l’œuvre de Jeanne tomber dans l’oubli, nous ne voulons pas d’un volume conventionnel et banal, mais un album contenant l’exposé de ses idées, comme si c’était elle-même qui revivait en quelque sorte dans ce recueil. Il contiendra du reste ses modèles, ses gravures, ses dessins, une légende illustrée et écrite par elle… Sa biographie sera extraite de ses mémoires, de sa correspondance. Ceux qui l’ont connue en parleront et comme artiste et comme artisane, comme Bretonne. Chaque collaborateur signera ses pages (…) L’album aura je crois assez d’unité pour qu’il soit bien l’album de Jeanne. Il en résulte un ouvrage richement illustré qui s’imposera pour longtemps comme une référence, Jeanne Malivel, son œuvre et les Sept Frères, qui paraît le 15 décembre 1929.

De leur côté, les Seiz Breur, lui rendent à leur tour hommage au cours de l’été 1927, lors de l’Exposition des arts appliqués de Saint-Nazaire, qui lui consacre une section entière de l’exposition, où l’on retrouve une grande part des travaux de Jeanne, la plupart prêtés par la famille. En 1942, l’Unvaniez Ar Seiz Breur voulu créer un prix Jeanne Malivel afin de récompenser un travail d’illustration.

Il faut ensuite attendre 1984 et une grande exposition rétrospective à Loudéac pour que l’œuvre de Jeanne sorte de l’oubli.

 

[1] Marie-Charlotte (1893-1988), Jeanne (1895-1926), Yvonne (1900-1985) et Jean (1909- ????)

[2] Arch. Nationales AJ 52 473 contrôle de la présence des élèves dans les ateliers et les cours du soir. Elle ne fait ni acte de présence dans l’atelier Humbert en 1919-1920, pas plus qu’en 1920-1921.

[3] Jean de la Bénelais (pseud. Olivier Mordrelle), Galerie Bretonne, La Bretagne réelle, 1953

[4] Paul Desgrées du Lou, préface au catalogue de l’exposition Jeanne Malivel, galerie Louis Carré, avril-mai 1923.

[5] A ce propos, Stéphane Laurent, L’Art utile, les écoles d’art appliqués sous le Second Empire et la Troisième République, Paris : L’Harmattan, 1998, p.152 et sq.

[6] Alexandre Masseron, « Le pardon des Cloches : la grande troménie de Locronan », Le Correspondant, 25 juillet 1923, p. 299.

[7] Elle ne laisse que très peu de peintures, quelques aquarelles et de très nombreux projets. 

[8] X, « Histoire de notre Bretagne, par C. Danio », La Renaissance de l’art français et des industries de luxe, n°8, 1925, p.483.