Cecil Howard
Un sculpteur américain en Bretagne
1888-1956
Une carrière des deux côtés de l’Atlantique
Cecil de Blaquière Howard est né de parents anglais le 2 avril 1888 à Clifton au Canada, non loin des chutes du Niagara. Sa famille s’installe à Buffalo dans l’état de New-York deux ans plus tard et la famille est naturalisée américaine en 1890. Élevé dans un milieu aisé, sensible aux arts, Cecil fait très tôt la preuve de ses dispositions pour la création artistique (il réalise entre autres choses un diorama complet du port de New-York dès l’âge de 7 ans).
Lorsque son père décède en 1896, sa veuve décide que chacun de ses quatre enfants pourra s’épanouir au gré de ses talents. Cecil, cadet de la famille, intègre les cours de dessins de l’Arts Students’ League de Buffalo en 1901, puis l’atelier de sculpture de la même école et y poursuit son apprentissage artistique jusqu’en 1905. Devant ses brillants résultats, son enthousiasme et sa volonté, sa mère finit par se laisser convaincre de le laisser rejoindre l’Europe. Il s’installe alors à Paris et intègre l’Académie Julian où ses professeurs sont Oscar Waldmann (1856-1937) et Raoul Verlet (1857-1923). Ses sujets de prédilection sont alors les sculptures animalières et il fréquente avec assiduité les zoos parisiens. Il y fait la rencontre d’un jeune italien qui l’impressionne par son talent, Rembrandt Bugatti (1884-1916). Les deux hommes deviennent amis et vont en 1908 travailler au zoo d’Anvers. Howard en ramène des statuettes qui seront exposées au Salon d’Automne de 1910, salon dont il devient sociétaire. Dès lors, il décide de s’intéresser à la représentation humaine et met au travail avec d’autant plus d’ardeur que sa mère lui accorde une pension qui lui permet d’occuper un atelier situé 14 avenue du Maine, dans le quartier de Montparnasse. Il expose en 1912 au salon de la Société Nationale des beaux-Arts dont il devient membre associé alors qu’il n’est âgé que de 24 ans. Cependant, sa découverte du cubisme dans les mêmes années l’amène à s’en inspirer pour la réalisation des sculptures polychromes de bois et de plâtre, comme ces « danseurs » ou ces « musiciens ». Parallèlement à ces travaux, il travaille dans un style plus classique mais de grand talent. Il est retenu pour l’une des plus importantes expositions marquant la naissance de l’art moderne : l’Armory Show de New York en 1913.
Il se lie à cette période avec André Dignimont ou le peintre norvégien Per Krogh.
Dès le début du premier conflit mondial, Cecil Howard intègre un hôpital de la Croix-Rouge britannique puis sera envoyé en Serbie dans une unité médicale dans laquelle il set jusqu’en 1916. Il retourne alors aux États-Unis pour y présenter ses travaux à l’occasion de plusieurs expositions. Il revient en France pour se marier en 1917 avec Céline Coupet, jeune modèle originaire du Limousin qu’il avait rencontré en 1911. Celle-ci avait d’ailleurs posé pour Jules Pascin (1885-1930) ou encore Amedeo Modigliani (1884-1920) pour une célèbre toile de 1918 : le « grand nu allongé » !
En 1919, symbolisant l’amitié franco-américaine mais aussi l’admiration d’Howard pour l’héroïsme de la nation française lors du conflit, deux de ses sculptures sont retenues pour des monuments aux morts : l’un à Hautot-sur-Mer (Seine-Maritime), l’autre à Ouville-la-Rivière (Manche). Il s’agit de deux obélisques : le premier représente un guerrier viking et l’on trouve au sommet du second une Marianne agenouillée.
Dans les années 1920, toujours installé à Montparnasse, Cecil Howard multiplie les participations à des salons, en France comme aux États-Unis. Il se passionne pour l’art étrusque et pour l’art égyptien, s’en inspirant pour certains de ses travaux.
Au décès de leur mère en 1932, Cecil et sa sœur Marjorie (éditrice pour Vogue, puis Harper’s Bazaar) s’installent au 7 rue de la Santé à Paris dans une propriété comportant deux ateliers. C’est là que l’artiste va poursuivre ses travaux, réalisant des sculptures de toutes tailles, de marbre, de pierre de Chassagne ou encore de Bronze. La proximité géographique avec des artistes comme Aristide Maillol -qui travaille non loin de son atelier- ou bien comme Charles Despiau le conduit à épurer son travail, il retient les poses les plus simples et s’intéresse à la forme, sans artifice aucun. Son atelier devient à l’occasion salle d’exposition. C’est dans les années 1930 qu’il réalise une série remarquée consacrée au sport et notamment à la boxe. En effet, personnalité charismatique, Cecil Howard est un danseur de tango accompli (le New-York Times lui consacrera d’ailleurs un article en 1914 !) mais aussi un sportif émérite, pratiquant avec bonheur la natation, le yachting, l’escrime ou le tir à l’arc, sport dans lequel il excelle. L’exposition internationale qui se tient à Paris en 1937 est pour lui un point d’orgue dans sa carrière, puisqu’il y reçoit deux grands prix ! Il participe également à l’exposition universelle de New-York en 1939.
Lors du déclenchement de la seconde guerre, il s’engage aux côtés de la Croix-Rouge américaine afin de venir en aide aux prisonniers de guerre alliés parqués dans des camps provisoires dans des conditions déplorables. Les autorités allemandes ayant décidé d’interdire leur accès, la famille Howard va quitte la France en octobre 1940 pour s’installer aux États-Unis. L’artiste cache ses sculptures et en particulier ses bronzes chez des amis et laisse ses outils à l’Arcouest où ils seront volés par les Allemands. En janvier 1941 il ouvre son atelier new-yorkais. Il y fréquente nombre d’artistes ayant fui l’occupation allemande. Recruté par l’OSS (l’ancêtre de la CIA !) en 1943, il quitte les États-Unis pour l’Angleterre avant de rejoindre la France en juillet 1944. Il est ensuite transféré à l’Office of War Information et envoyé en Bretagne afin d’enquêter sur les atrocités commises par les troupes allemandes et leurs supplétifs en Bretagne. Il est durablement marqué par cette expérience, à tel point qu’il est incapable de sculpter plusieurs mois après son retour en août 1945.
En 1947, la république française lui achète pour le Musée d’Art Moderne une grande sculpture « Bain de soleil » et il est fait chevalier de la légion d’honneur en 1948.
Les dernières années de la vie de Cecil Howard sont marquées par la maladie de sa femme Céline et son activité statuaire se ralentit alors. Il réalise pourtant de nombreuses médailles et s’investit dans l’enseignement. Il reçoit plusieurs récompenses au début des années 1950. Il décède à New-York le 5 septembre 1956.
Cecil Howard et la Bretagne
Si les États-Unis et Paris constituent sans doute possible les deux principaux points d’ancrage professionnels de Cecil Howard, la Bretagne -et plus exactement la région paimpolaise- sera d’une importance capitale dans sa vie.
Il semble que ce soit en 1913 et à l’initiative de l’un de ses amis américains, le journaliste White Williams, que Cecil Howard découvre l’Arcouest. Ce voyage initial est pour lui, comme pour bien d’autres artistes, une découverte qui va transformer sa vie.
Démobilisé, Cecil Howard se rend en Bretagne en août 1916 et y retournera jusqu’à la seconde guerre mondiale. Il loue alors un bateau, « l’Yvonne » et réside alors à la pension appartenant à Reine Cadic, à l’Arcouest. Howard et sa famille revenant d’un été sur l’autre, ils deviennent des figures locales, profondément attachés à la population, Cecil improvisant des bals grâce à ses talents d’accordéonistes…
L’été 1921, Cecil Howard voit l’un de ses rêves s’accomplir, son bateau, construit durant l’hiver est prêt. Les voiles proviennent de la voilerie paimpolaise Rivoallan et le bateau, bientôt baptisé du nom de son épouse « La Céline ». Le petit cotre de pêche appartient officiellement à son fils Noël, alors âgé d’un an et demi, en raison de la législation française interdisant un étranger de détenir un navire français ! Yves-Marie Lebel, ancien marin islandais devient le patron de « La Céline »
À partir de cette année-là et jusqu’à la seconde guerre mondiale, la famille Howard passera tous ses étés à l’Arcouest. À bord de « La Céline », la famille Howard et leurs amis pêchent au maquereau, se promènent au large et vont pique-niquer sur les îles de l’archipel de Bréhat et de l’estuaire du Trieux.
L’Arcouest est alors le lieu de rencontre de ce que l’on a désigné plus tard sous l’expression de « Sorbonne-Plage » ou « Fort-la-Science ». À la fin du 19ème siècle, Louis Lapicque, ami d’Anatole Le Braz qui réside à Port-Blanc découvre la pointe de l’Arcouest ; il y achète un terrain en 1900 et fait découvrir le site à l’historien Charles Seignobos. Rapidement, ils sont rejoints par les mathématiciens Paul Appell ou Emile Borel, puis Marie Curie, Jean Perrin ou Paul Langevin et bien d’autres encore… Ces figures scientifiques et intellectuelles forment une communauté unie, régatant les uns contre les autres, organisant des spectacles, s’invitant à des repas…
Depuis 1913, il existe un autre pôle, la « colonie de Launay », constitué d’artisans ou d’artistes parisien comme Louis Roufflet qui travaille alors dans une maroquinerie La première guerre mondiale fit des ravages dans leurs rangs et c’est dans l’après-guerre qu’une nouvelle colonie renaît. Des artistes comme André Dignimont, Raymond Thiollière ou Guy Arnoux viennent y passer leurs vacances. La maison est entièrement décorée de fresques réalisées par ces artistes mais aussi par la famille Howard. La vie de la colonie est bohème, rythmée par les fêtes, les baignades, les promenades en mer ou les excursions à terre…
Line Howard-Beneyton, fille aînée de Cecil et Céline Howard raconte qu’avec les « scientifiques » comme on appelait la bande des Curie, Perrin, Borrel, Lapicque, la bande des artistes n’avait, au début, que peu de rapports, Et même du temps où Cec a eu comme bateau l’Yvonne [donc avant 1921] avec Guy Arnoux et les amis, ils ont organisé une expédition de pirates contre eux à l’île Verte. Pavillon noir à tête de mort, déguisements et bandeau sur l’œil, ils ont attaqué les scientifiques, qui l’ont pris sans humour. (…) Les seuls terrains de rencontres amicales étaient chez le Capitaine [il s’agit de Charles Seignobos] aux soirées qu’il donnait toutes les semaines, et à la fête annuelle de l’Arcouest dans le verger de la place.
Cette fête du Placis est donnée tous les ans au profit de la cantine scolaire de Ploubazlanec. Les animateurs se recrutent chez les artistes comme chez les scientifiques, s’inspirant des numéros du cirque d’hiver, organisant des ventes d’objets divers et de friandises afin de récolter des fonds… La fête s’achève par un bal…
Vers 1928, Cecil Howard envisage d’acheter une propriété sur la pointe de l’Arcouest, mais se fait souffler l’affaire par Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal… Il devra attendre une dizaine d’années avant de pouvoir acquérir sur la pointe de l’Arcouest une petite maison bâtie en 1932, « Ty Guard ». C’est là qu’il apprend le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Il quitte l’Arcouest en 1940, n’y revenant qu’en 1947, et pour trois étés seulement, car l’état de santé de son épouse s’est dégradé. À partir de 1950, et jusqu’à son décès, Cecil Howard ne reviendra plus en villégiature dans cette Bretagne qu’il aime tant.