HENRI RIVIERE, DE MONTMARTRE A LA BRETAGNE
Par Olivier Levasseur
Indéniablement Henri Rivière est parisien, il est né le 11 mars 1864 rue Montmartre et réside toute sa vie dans le quartier, tout d’abord rue Brochard de Saron à partir de 1888 lorsqu’il rencontre celle qui deviendra sa femme Eugénie Estelle Ley (1864-1943)[1]. Cependant, un incendie détruit leur appartement et le couple aménage en 1893 au 29 boulevard de Clichy, que Rivière occupera jusqu’à sa mort[2].
Il grandit dans le quartier et après la mort de son père en 1873, sa mère déménage rue Richer puis rue de Dunkerque. Il fait la connaissance de Paul Signac (1863-1935) lorsqu’il a 10 ans[3]. Après ses études au Lycée Colbert, sa vocation de peintre s’affirme et sa mère l’autorise à fréquenter les cours donnés par Emile Bin (1825-1897) -par ailleurs maire du XVIIIème arrondissement- dans son atelier de la rue Cauchois. Même s’il n’y reste que quelques semaines, outre Signac, il y rencontre Charles Léandre (1862-1934) ou Maurice Eliot (1862-1945). Agé à peine de 18 ans, il décide de quitter l’appartement familial et de s’installer à Montmartre.
C’est bien entendu sa fréquentation assidue au célèbre cabaret du Chat Noir, ouvert par Rodolphe Salis (1851-1897) au cours du mois décembre 1881 au 84, boulevard de Rochechouart avant de déménager en juin 1885 rue de Laval. Ceci permet à Rivière de trouver sa voie, tout d’abord comme rédacteur et illustrateur du Journal du Chat Noir, puis comme concepteur et metteur en scène des fameuses représentations du théâtre d’ombres qui vont lui assurer sa renommée. Le cabaret est alors l’un des épicentres du bouillonnement artistique et culturel de la vie parisienne[4].
[1] - Ils se marient à la marie du 9ème arrondissement le 14 novembre 1895. Les témoins du marié sont George Auriol, Odon Guéneau de Mussy (1849-1931) ainsi que Jules Rivière, frère d’Henri.
[2] - Nous ne traiterons pas ici de l’ensemble de la carrière de Rivière. Se reporter à Valérie Sueur-Hermel (dir.), Henri Rivière entre impressionnisme et japonisme, Paris : Bibliothèque nationale de France, 2009, 224 p.
[3] - Ils se brouilleront assez vite. Les archives Signac ne conservent aucune trace de Rivière !
[4] - Il serait vain de lister ici les personnalités qui ont fréquenté le cabaret. On se réfèrera donc à Mariel Oberthür, « Le Chat Noir, 1881-1897 », Les dossiers du musée d’Orsay, n°47, Paris : Musée d’Orsay, 1992, 72 p. et Mariel Oberthür, Le cabaret du Chat Noir à Montmartre (1881-1897), Paris : Slatkine, 2007, 284 p.
La découverte de la Bretagne
Rivière découvre la Bretagne grâce à Paul Signac à l’initiative duquel se rend à Saint-Briac en compagnie de son frère Jules. Il y rencontre Auguste Renoir en août 1886. Il nous décrit ainsi cette rencontre : en revenant une après-midi chez nous, nous vîmes, assis sur son pliant, un peintre qui avait devant lui, comme modèle, une paysanne gardant une vache. Je l’observais discrètement à quelque distance derrière lui et je reconnus bien vite à sa toile que c’était probablement Renoir qui était devant nous. Avec l’aplomb du jeune âge, j’osais m’approcher et lui tirer mon chapeau en murmurant, assez intimidé : « Bonjour Monsieur Renoir ! » - « vous me connaissez donc jeune homme ? » dit-il en se retournant. « Non, Monsieur, répliquais-je troublé, mais c’est à votre peinture que je vous ai reconnu… - Oh ! Qu’il est gentil le jeune expert ! » Et apercevant ma boîte de couleurs : « mais vous êtes un collègue je crois bien ? » Et je fus obligé de lui montrer mon étude qu’il eut la bonté de ne pas trouver trop inepte[1]. A l’été 1890, Rivière est à Saint-Briac et à Saint-Cast et y réalise de nombreux aquarelles et croquis qui vont lui servir à réaliser une partie de la série des « paysages bretons », qu’il transpose en xylographies.
[1] - Henri Rivière, Les détours du chemin, Equinoxe : Saint-Rémy de Provence, 2004, p. 25-26.
Loguivy, le hâvre de paix
Au cours de l’été 1891, Rivière se trouve à Saint-Cast puis visite Perros-Guirec et Ploumanac’h avant de venir découvrir Loguivy, qui dépend administrativement de la commune de Ploubazlanec.
A partir de 1894, et l’ouverture de la ligne Guingamp-Paimpol, il est aisé de voyager depuis Paris en chemin de fer, Ploubazlanec étant la commune mitoyenne de Paimpol.
Située face à l’île de Bréhat, cette commune comporte alors quatre villages : le bourg de Ploubazlanec, Pors-Even, L’Arcouest et Loguivy. Au début du XXème siècle, la commune devient un centre de villégiature apprécié par de nombreux visiteurs, dont l’un des plus connus sera Lénine qui y séjourne au cours de l’été 1902. A partir de 1900, une communauté de scientifiques - pour la plupart professeurs à la Sorbonne- s’installe, donnant naissance à ce qui sera désigné sous le nom de Sorbonne-Plage[1] : les Langevin, Curie, Perrin, Lapicque, Seignobos y feront construire leur résidence secondaire. A partir de 1892, l’Hôtel Le Barbu, près de l’embarcadère vers Bréhat accueille plusieurs artistes renommés tels Paul Signac, Jules Grandjouan, ou l’affichiste Jules Chéret qui se fera construire une maison en 1906.
Une autre communauté d’artistes « la Colonie » se construit dans le même temps à l’Arcouest : l’on y retrouve Dignimont, René Thiollière, Guy Arnoux mais aussi le sculpteur Cecil Howard. Nous pourrions ainsi multiplier les exemples.
Situé à quelques encablures de là, Loguivy pourrait paraître éloigné de cette effervescence intellectuelle et artistique : c’est avant tout un port spécialisé dans les pêches des homards. Le premier séjour des Rivière à Loguivy date de 1891, ils louent une petite maison de pêcheurs, juste au-dessus du port. C’était bien primitif comme installation : une seule pièce au sol en terre battue, un lit de fer loué à Paimpol, une grande cheminée à manteau et des ustensiles de cuisine assez mal en point. Mais nous étions très contents de ce petit campement estival qui nous changeait des commodités de Paris. Ma femme avait trouvé une petite bretonne de 18 ans pour laver la vaisselle et balayer, aller à Paimpol avec elle pour le ravitaillement, deux fois par semaine[2]. C’est pourtant là que Henri Rivière et sa récente épouse décident de se faire construire une maison en 1895 : nous finîmes par découvrir Loguivy-en-Ploubazlanec où nous devions passer bien des saisons. D’abord logés dans des maisons de pêcheurs, près du petit port, puis dans une ferme, nous décidâmes, tant nous enchantait le pays, de faire construire une maison à l’embouchure du Trieux[i]. Dominant le fleuve, le lieu choisi était magnifique : une haute falaise descendant à la mer en plusieurs sauts, couverte de pins, tapissée de bruyères et d’ajoncs, parmi de grands rochers gris. On dominait de son plateau – boisé aussi- d’un côté tout l’archipel de Bréhat jusqu’au phare de Héaux, de l’autre le court du Trieux jusqu’à Bodic ; en face, l’île à Bois avec ses hauts pinsapos où perchaient les hérons ; en arrière, les terrains incultes de Landmendy. Seul un étroit sentier entre les roches permettait d’accéder à la place projetée pour la maison. L’endroit complètement isolé, accoté à la falaise de Roc-Neven, était à 1500 mètres du port de Loguivy et à 5 kilomètres de Paimpol. On pouvait s’y croire au bout du monde, dans un pays encore vierge, où le bruit des vents et de la mer, les cris des oiseaux, une voile claquant en changeant d’amure, l’appel d’un marin, animaient seuls le paysage harmonieux, changeant et coloré diversement selon les effets et les heures[3].
Cette maison, qu’ils peuvent habiter à partir de 1896, est baptisée Landiris (la lande aux iris) afin de rendre hommage à cette espèce de fleurs que Rivière adore entre toutes. Il en plantera plusieurs centaines, de toutes les espèces, de toutes les couleurs, sous les pins, parmi les ajoncs et les bruyères, comme s’ils étaient poussés là, capricieusement, au hasard, par touffes épaisses ou serpentant, dégringolant les plis du terrain, bordant les rochers[1]. Landiris constitue le point d’ancrage du couple Rivière, qui y passe tous les étés quatre mois, généralement de juin à septembre jusqu’en 1904, puis deux mois jusqu’en 1913, complétant alors leurs séjours bretons par des villégiatures en presqu’île de Crozon ou en d’autres endroits de la baie de Douarnenez, nous y reviendrons.
[1] - Ibid., p. 79.
[1] - A ce sujet, « L’Arcouest des Joliot-Curie », Revue de la Bibliothèque Nationale de France, n°32, 2009.
[2] Henri Rivière, op. cit., p.78.
[3] Henri Rivière, op. cit., p. 77.
[3] [i] Henri Rivière, op. cit., p. 77.
Des vacances studieuses
Nous n’avons finalement que fort peu de détails sur ses séjours à Loguivy, la correspondance d’Henri Rivière n’étant pour l’heure pas accessible et la partie de ses mémoires qui y est consacrée étant surtout constituée d’anecdotes relatives à la population locale. Toudouze nous décrit sa vie loguivienne : depuis longtemps déjà ayant, pour l’aquarelle, abandonné l’huile, chaque matin il part accompagné de son chien, à la main son grand carton, dans la poche sa boîte de couleurs : il va s’installer devant le motif qu’il a remarqué, le précise d’abord jusqu’au plus menu détail par un dessin très serré, puis sur cette préparation coule les tons diaphanes et pose les appels de valeurs nécessaires à l’effet. La minutie de ces aquarelles, qui se chiffrent par centaines étonneraient d’un étonnement profond ceux qui, ne connaissant que la formule simplifiée de ses estampes, s’imaginent volontiers que leur exécution est la chose la plus facile du monde, et ne se doutent pas que vingt, trente, cinquante analyses ont précédé, préparé, formé de mille observations additionnées, conjuguées, patiemment superposées, l’effet très simple – en apparence- de l’estampe définitive[1] Henri Rivière nous raconte qu’il se lie d’amitié avec un vieux marin, le père Richard, qui devient le gardien de sa maison : bientôt, il m’offrit de porter mon sac et ma boîte de couleurs quand j’allais peindre (ce que j’acceptais volontiers) et nous devînmes bons amis[2].
On ne peut que suivre Camille Mauclair lorsqu’il écrit que Rivière fait ses estampes avec une véritable bibliothèque de notes, de dessins très poussés, de croquis de personnages, d’objets et d’arbres. Et le public est hors d’état de soupçonner le travail énorme que représente cette feuille de papier qui charme son regard distrait aux vitrines de quelques éditeurs[3]. Toudouze ne dit pas autre chose : c’est par la superposition de quantités d’études que Rivière procède pour faire une estampe et il anime ses paysages par la superposition de personnages croqués à tout instant au courant de ses albums (…) Après l’été en Bretagne, cette opération synthétique se fait à Paris dans son calme chez lui, où l’artiste retrouve ses vrais, ses seuls maîtres après la Nature, les Grecs, les Egyptiens et les Japonais[4].
Rivière réalise en fait plusieurs types de travaux : il remplit ses petits carnets de croquis rapides de scènes ou de croquis qu’il réutilise pour ses estampes et peint des aquarelles bien plus élaborées qu’il peut parfois également transcrire sous une forme ou une autre d’estampe.
Un autre aspect de son travail estival est la préparation des décors et des mises en scènes pour les pièces de la saison à venir du Chat Noir ou du Théâtre Antoine. Mariel Oberthür signale que durant ses séjours à Landiris, Rivière reste en constante relation avec salis et Le Chat Noir. Mme Salis a avec lui une correspondance suivie (…). Elle le tient aussi au courant de l’usure des silhouettes en zinc. Rivière peut alors prendre la décision d’en faire redécouper des séries complètes pour que dès l’automne, les pièces soient reprises correctement. De Loguivy, il prépare les nouvelles pièces qui seront jouées dès l’ouverture du cabaret en octobre, il donne les instructions pour que les textes soient écrits, mis en musique et qu’en peu de jours, les répétitions soient organisées[5].
Son frère Jules, sa femme et ses enfants Georges et Thérèse viennent parfois séjourner à Landiris, mais nous n’avons aucune preuve que ses amis parisiens lui rendent visite. Nous pouvons pourtant soupçonner la présence de deux d’entre eux.
Le premier est Eugène Delâtre (1864-1938)[6], qui réalise en 1912 une série d’eaux-fortes consacrée à Kérity (qui dépend de Paimpol) et plus précisément aux alentours de l’abbaye de Beauport[7]. Cette date coïncide au retour de Rivière à la technique de l’eau-forte un an plus tôt.
Le second est George Auriol (1863-1938)[8], l’un de ses plus fidèles amis du Chat Noir où ils ont fait connaissance. Auriol a dessiné pour Rivière ses monogrammes, collaboré à la conception des livres-partitions mais aussi de l’album des Trente-six vues de la Tour Eiffel. Auriol fait paraître en décembre 1921 les Aventures du capitaine Longoreille, illustré de 175 dessins d’Avelot, aux éditions Berger-Levrault. Cet ouvrage raconte les aventures d’un lapin et de ses amis et a lieu presqu’exclusivement à Loguivy, dans l’estuaire du Trieux et à Bréhat. On ne peut être que très surpris de constater la connaissance intime qu’Auriol a de la géographie et des toponymes des lieux. Un autre témoignage indirect est un petit article qu’il signe, paru dans l’Almanach Vermot de 1906, commençant par ces mots : « lorsque j’habitais le bourg de Ploubazlanec… ». Enfin, les cartes de vœux qu’il réalise en lithographie entre 1898 et 1937 font souvent appel à des vues bretonnes, souvent très proches de celles réalisées par Rivière et l’on reconnaît sur certaines d’entre elles les goélettes islandaises qui partaient alors de Paimpol…
La seule certitude que nous ayons est la rencontre entre Rivière et le parisien Lucien Ott (1870-1927) qui se rend spécialement à Loguivy. Il exerce la profession de chef d’atelier pour la manufacture de meubles Krieger et a découvert la gravure grâce à son ami Loys Delteil (1869-1927). Rivière se remémore leur première rencontre : c’est à Loguivy que je fis la connaissance d’un brave garçon, venu là pour passer ses vacances avec sa femme et ses enfants dans une modeste maison de pêcheur. Un matin le père Richard me dit : « il y a là un Monsieur- peintre de Paris qui demeure près de chez moi et qui m’a demandé s’il pouvait venir vous voir (…) et je répondis : « mais oui, dites-lui de venir ». Il vint le lendemain et me dit qu’il s’appelait (…) qu’il était chef d’atelier de dessin de la maison Krieger, qu’il s’amusait à faire des aquarelles (qui n'étaient pas mal du tout) et qu’il aimerait venir travailler avec moi, si cela ne me déplaisait pas. Il m’a voué une amitié fidèle – bien partagée- qui ne s’est jamais démentie, me rendant mille services, « montant mes estampes, mes aquarelles avec un soin minutieux, me faisant des cadres où exécuter dans son atelier des meubles que j’avais dessiné. Il m’aida à mettre au carreau la grande décoration que je fis pour Hayashi. (…) Il a été le bon compagnon qui était toujours là quand on a besoin de lui et je l’ai beaucoup regretté lors de sa mort prématurée, qui me privait d’un ami prêt à tout pour que je sois content[1]. Les travaux que Lucien Ott a produit lors de ses séjours à Loguivy de 1898 à 1900 sont de manière indiscutable proches de ceux de Rivière, que ce soit en ce qui concerne le sujet, le cadrage voire même la technique. Il en exposera au Salon des Indépendants en 1901 et 1902.
[1] - Ibid. p. 85
[1] - Georges-Gustave Toudouze, Henri Rivière, peintre et imagier, Paris : Floury, 1907, p. 26.
[2] - Henri Rivière, op.cit.,p. 78.
[3] - Camille Mauclair, « Henri Rivière », L’Art et les artistes, n°43, 4ème année, octobre 1908, p. 13.
[4] - Georges-Gustave Toudouze, op. cit., p. 29.
[5] - Mariel Oberthür, Henri Rivière, connu, méconnu, Sémur-en-Auxois : Spiralinthe, 2004, p. 150.
[6] - Impressions à Montmartre, Eugène Delâtre & Alfredo Müller, catalogue de l’exposition du musée de Montmartre, Milan : Silvana Editoriale, 2013, 144 p.
[7] - Elles sont souvent localisées par erreur à Kerity-Penmarc’h dans le Finistère.
[8] - Il n’existe que peu de choses sur George Auriol : Armond Fields, George Auriol, Salt Lake City : Gibbs. M. Smith/Peregrine Smith Book, 1985, 174 p.
La Bretagne, une place centrale dans l’œuvre de Rivière
Si l’on excepte ses aquarelles[1], la Bretagne constitue le sujet majeur dans l’œuvre de Rivière, que ce soit les lithographies, les bois gravés ou les eaux-fortes.
Les bois gravés
Infatigable chercheur, Rivière tente à sa manière de percer le secret de la fabrication des estampes japonaises qu’il aime tant. Il finit par être satisfait de ses découvertes et va se mettre au travail. Si sa première xylographie a pour sujet le chantier de la Tour Eiffel en 1889, il va au cours des années suivantes se lancer dans une entreprise impressionnante, puisqu’il veut réaliser pas moins de 100 estampes portant sur « Les paysages bretons » ; une série de 33 gravures consacrées à la mer, ainsi qu’une autre série qui aurait eu pour sujet La Seine. Ajoutons à ceci que « Les Trente-six vues de la Tour Eiffel auraient dû être initialement réalisées sous forme de xylographie. La somme de travail que ceci représente est écrasante, puisque Rivière grave et tire lui-même ses planches dans son appartement du boulevard Clichy.
Finalement, Rivière ne réalisera que quarante des cent vues initialement envisagées pour les « paysages bretons ». Toutes sont localisées avec précisions. En 1892, le public découvre lors de la 4ème exposition des peintres-graveurs[2], le travail de graveur sur bois d’Henri Rivière. Ce ne sont pas moins de 22 bois qui y sont exposés, qui sont exclusivement consacrés à la côte d’Emeraude (essentiellement Saint-Briac) ils ont tous été réalisés entre 1890 et 1891. Ces bois suscitent l’enthousiasme de la critique. Il poursuit la réalisation de ses bois jusqu’en 1894, date à laquelle il abandonne cette technique trop chronophage et qui ne peut être que diffusée dans un cercle restreint -chaque bois n’étant tiré qu’à 20 exemplaires-. On mesure mieux la difficulté de la tâche lorsque l’on sait que « le pardon de Ste-Anne-La-Palud », il est vrai composé de 5 feuilles aura nécessité pas moins de 50 bois et lui aura pris 4 mois pour la gravure et 2 mois pour le tirage… La série consacrée à « La Mer », ne comportera finalement que 6 bois, tandis que seuls deux bois auraient été finalisés pour « La Seine ». Sur les 52 xylographies répertoriées par Armond Fields, 47 représentent des scènes bretonnes localisées à Saint-Briac, Saint-Cast, Ploumanac’h et Perros-Guirec, Loguivy, Douarnenez et Tréboul[3].
[1] Bien qu’il en réalise plusieurs centaines en Bretagne, cf. Henri Rivière, la Bretagne aquarelles inédites, Saint-Rémy-de-Provence : Impressions du ponant/Equinoxe, 2004, 160 p. Rivière en a également réalisé plusieurs autres centaines dans les régions qu’il visite après 1913, que ce soit dans les Pyrénées, en Savoie, en Alsace, en Provence ou sur la Côte-d’Azur, en Normandie, en Ile-de-France, en Auvergne, en Ardèche mais bien entendu également à Paris et à Montmartre…
[2] Qui se tient à la galerie Durand-Ruel
[3] Armond Fields, Henri Rivière, Salt Lake City : Gibbs. M. Smith/Peregrine Smith Book, 1983, p. 82-83.
Les lithographies
Les séries de lithographies forment la partie la plus connue du travail de Rivière. Imprimées et éditées pour l’essentiel par Eugène Verneau (1853-1913), leur parution s’étend entre 1897 et 1916. Ce sont naturellement les plus diffusées, car tirées généralement à 1000 exemplaires[1].
Les « Aspects de la Nature », première série éditée entre 1897 et 1908, comporte seize planches. Bien qu’elles ne soient volontairement pas localisées avec précision, treize d’entre elles représentent des vues bretonnes. Ces planches de grandes dimensions (54,5 X 84 cm.).
Bien évidemment, les « paysages parisiens » (8 planches parues en 1900) et son fameux recueil consacré aux « trente-six vues de la Tour Eiffel » (paru en 1902), proposent des vues de Paris, et rendent parfois un hommage discret à Montmartre.
Les seize planches de « La féérie des heures » paraissent en 1901 et 1902. Bien qu’elles ne soient pas localisées, Rivière leur donnant un titre générique, ce sont toutes des scènes de Bretagne, inspirées de ses séjours à Loguivy, en presqu’île de Crozon ou près de Douarnenez.
A partir de 1898 et jusqu’en 1917, La série du « Beau Pays de Bretagne » est éditée, servant de support publicitaire aux calendriers de l’imprimerie Verneau, à raison d’une par an. Cette fois-ci, les paysages représentés sont localisés avec précisions et près de la moitié d’entre eux sont des vues de Loguivy et de l’estuaire du Trieux, dans un rayon de quelques centaines de mètres autour de sa maison de Landiris. Elle fait cependant la part belle aux vues de Tréboul et de Douarnenez.
La dernière série de lithographies éditées par Verneau l’est en 1906 et s’intitule « Au vent de Noroît ». Elle comporte quatre planches inspirées par la région de Douarnenez.
Si l’on s’en tient à ces séries, ce sont en tout 49 planches qui ont pour objet la Bretagne pour un total de 60[2].
Signalons enfin, que pour les diplômes que Rivière réalise pour la Société pour la protection des paysages de France en 1904 ou pour celui de la Société nationale de l’art à l’Ecole (1908) dont il fut l’un des ardents promoteurs, Rivière choisit une fois encore des scènes bretonnes …
[1] Olivier Levasseur ; Yann Le Bohec, Henri Rivière, estampes, catalogue raisonné des lithographies, Châteaulin : Locus Solus, 2022, 256 p.
[2] En exceptant les Trente-six vues de la Tour Eiffel, parues en recueil et d’un format bien inférieur.
Les eaux-fortes
Rivière commence à utiliser cette technique vers 1882, il réalise une vingtaine d’eaux-fortes jusqu’en 1888, date à laquelle il abandonne cette technique. La plupart sont des vues de Paris ou de la région parisienne, à l’exception d’une poignée d’entre elles qui ont pour sujet Saint-Briac. Nous ne savons pas qui tirait ces œuvres, ou si, comme pour les bois gravés, Rivière le faisait lui-même. Quoiqu’il en soit, il revient à cette technique à partir de 1906 pour réaliser près de 80 eaux-fortes qui seront tirées à l’atelier d’Eugène Delâtre rue Lepic. A l’exception de 8 planches italiennes et de trois représentant Ax-les-Thermes, toutes les autres planches ont pour sujet la Bretagne : Loguivy bien entendu, la presqu’île de Crozon, et Douarnenez-Tréboul. On note également deux planches consacrées à Belle-Ile-en-Mer et l’une à Pont-Aven. Chacune de ces eaux-fortes est tirée à 25 exemplaires.
Conclusion
Durant près de 30 ans, la Bretagne occupe une place essentielle dans l’oeuvre de Henri Rivière, c’est là qu’il passe ses mois d’été et c’est là qu’il trouve l’inspiration pour ses estampes. Pourtant toutes seront réalisées à Paris, que ce soit dans son appartement du boulevard Clichy pour les bois gravés, dans l’imprimerie d’Eugène Verneau rue de la Folie-Méricourt pour les lithographies et dans l’atelier d’Eugène Delâtre rue Lepic pour ses eaux-fortes. La mort tragique de son frère Jules en 1912, celle d’Eugène Verneau en 1913 et les ennuis de santé de sa femme ainsi que le voyage en Italie qu’il fait en compagnie de la famille Noufflard vont l’amener à vendre Landiris en 1913. Il ne reviendra qu’une fois en Bretagne en 1916 avant de la quitter définitivement. C’est une nouvelle page qui s’ouvre alors dans l’histoire de Rivière, celle d’un effacement progressif de la scène publique.