Un témoin de son temps
Louis Faudacq , une vie au service des Douanes
La naissance de Louis-Marie Faudacq le 19 mai 1840 à Givet dans les Ardennes n’est due qu’aux aléas des affectations paternelles, puisque son père est douanier. Poursuivant la tradition familiale, il intègre à son tour les Douanes comme demi-solde à l’âge de 18 ans. Il est en poste dans la direction de Dunkerque puis de Lille entre 1858 et 1868.
Outre la surveillance des côtes et la lutte contre la fraude, l’administration des Douanes est chargée dans les ports depuis 1791 d’un certain nombre de services : la francisation, le jaugeage des navires, les hypothèques maritimes, les péages et les droits de navigation, celui du régime particulier des matériaux pour la construction navale. Lorsqu’un navire entre au port, les agents des Douanes sont chargés de la « mise en douane » qui consiste dans le dépôt du rapport de mer, la remise du manifeste, des connaissements, de leur apurement mais aussi dans la visite des passagers et marchandises au débarquement. Lorsqu’il quitte le port, il faut viser le manifeste, procéder à la visite du navire, la détaxe de l’avitaillement en vivres et hydrocarbures, ainsi que du sel embarqué à bord de navires de pêche. Le douanier reçoit donc les déclarations d’entrée et de sortie, celles des marchandises qui donnent lieu à la délivrance d’imprimés (dont Faudacq se servira parfois comme support à ses dessins). La Douane n’a pas forcément bonne réputation sur les côtes : le commandant Hayet, grand collecteur de chants de marins, rapporte même qu’elle est jugée comme une « administration soupçonneuse et impitoyable qui, dans tous les pays du monde, a méchamment compliqué et dépoétisé l’existence des pauvres navigateurs… ».
Arrivée en Bretagne
Louis Faudacq demande une mutation en Bretagne et est affecté en février 1868 à La Houle (Cancale), qui dépend de la direction de Saint-Malo. Dès le mois de mai, il rejoint un nouveau poste à Lézardrieux. Il y reste jusqu’en janvier 1883, date à laquelle il est affecté à Tréguier. Il occupe ce poste jusqu’à sa retraite le 1er juillet 1900. Il s’installe en 1892 à Ploubazlanec, en compagnie de sa bonne Anna Le Corre. Il y fait construire dans un jardin attenant un atelier de plain-pied, disposant d’une grande baie vitrée sur son pignon. Il y décède le 31 mai 1916.
Le personnage
Louis Faudacq est sans nul doute considéré par ses contemporains comme un original, un personnage étonnant qui arpente les grèves de jour comme de nuit et dessine sans répit. « De forte stature, moustache blanche assez abondante, favoris avec des bésicles et en général habillé d’une grande veste de velours à gros boutons à tête de chien, même feutre et en général guêtres et forts souliers, canne ferrée aussi ». Il est surnommé par ses contemporains « Gobe la Lune ». Un témoignage raconte d’ailleurs que, « dès la bonne saison et lorsqu’il y avait clair de lune, nous savions qu’il allait sortir à la tombée de la nuit. Il allait très souvent dans un bois face à la baie de Paimpol, et devait peindre même de nuit, car il avait toujours sur l’épaule sa boîte de peinture ». Son chien Tap l’accompagne dans ses randonnées nocturnes. Magdeleine Dayot raconte que ce vieil homme solitaire « conservait une délicieuse affabilité, et un raffinement parfois attendrissant ; lorsqu’on le conviait à dîner, il venait toujours vêtu d’un habit de drap bleu de roiy à boutons d’or, et tenait à la main un mouchoir brodé qu’il agitait en parlant, mais… comme les routes bretonnes sont souvent boueuses, il portait des bottes ! Il avait des expressions amènes : « profondément touché, infiniment reconnaissant… »
« Terriblement distrait, et toujours occupé par la poursuite d’une idée ou d’un rêve, Faudacq, dont la vie intérieure était très vibrante, s’était créé une existence un peu en dehors de celle des braves gens, bourgeois ou paysans, qu’il fréquentait. Ses actes étaient certes dépourvus de banalité et surprenaient parfois ; il restait souvent de longs jours, isolé, puis soudain, pris d’un vif désir de sociabilité, il allait frapper – sans se soucier de l’heure – à la porte d’une demeure généralement hospitalière… mais il arrivait que l’huis ne s’ouvrait pas, et qu’une tête à bonnet de coton se montrait à une fenêtre… Faudacq, noctambule et rêveur, ne s’était pas rendu compte qu’il était fort tard, peut-être plus de minuit, heure peu propice aux visites et que ses amis étaient couchés… désolé de sa bévue, mélancoliquement, l’artiste solitaire regagnait sa petite maison (…) et sous la lune amie des poètes, sans se soucier de la pluie ou du vent, Faudacq s’arrêtait et dessinait… ».
L’artiste
N’ayant reçu aucune formation académique, Louis Faudacq est un authentique autodidacte. Il possède des manuels techniques classiques tels ceux de Karl Robert, Fraipont ou de Thenot. Privilégiant le dessin et l’aquarelle, il ne réalise que très marginalement des huiles, ce qui est sans nul doute l’un des facteurs expliquant la confidentialité dans laquelle son œuvre est restée jusqu’à nos jours. Il ne participe qu’exceptionnellement aux grands salons parisiens à la fin des années 1870 et au début des années 1880, sans que cela débouche sur une renommée nationale. De ce fait, ses travaux sont assez peu diffusés, hormis au travers d’eaux-fortes ou d’illustrations pour une presse grand public.
L’illustrateur
Au milieu des années 1870, Faudacq va obtenir une certaine renommée au travers de sa collaboration à deux journaux à destination du grand public : « l’Illustration » et « Sur terre et sur mer ». Il y rédige quelques articles, l’un à l’utilisation des engrais marins, l’autre à la pêche des huîtres, témoignant par là même de la naissance de l’ostréiculture au sens contemporain du terme. Ces premières publications sont assez représentatives de ses travaux : on y trouve des scènes maritimes (« Bateaux dragueurs d’huîtres de la côte anglaise de Dungeness ») ainsi que des scènes de la vie du littoral comme une « vue générale du sillon de Talbert » ou « le déchargement du sable coquillier »… Nul doute que ces premières publications lui ouvrent à partir de janvier 1886 les portes de la revue « le Yacht, journal de la navigation de plaisance ».
La « Société d’encouragement pour la navigation de plaisance » a été fondée le 15 juin 1867, mais elle prend dès le 11 novembre de cette même année le nom de « Yacht Club de France », patronné par Napoléon III. Le 16 mars 1878 paraît le premier numéro d’un hebdomadaire intitulé Le Yacht, journal de la navigation de plaisance. Le bulletin officiel du Yacht club de France y est inséré jusqu’en 1902. Ce journal est une source majeure pour l’histoire maritime à la fin du 19ème siècle, traitant aussi bien de marine militaire que de pêche ou de plaisance. À une époque où la photographie d’actualité nautique n’existe pas encore, on fait appel pour illustrer les articles à des collaborateurs comme C. Leduc, Roux, Destrappes ou encore Léon Haffner. Louis Faudacq y collabore entre 1886 et 1894, livrant au cours de cette période plus de 80 dessins, gravés sur bois avant publication dans des officines parisiennes spécialisées. Cette collaboration cesse lorsque la revue décide de recourir à la photographie.
Ce corpus d’illustrations constitue jusqu’à aujourd’hui la partie la plus accessible de son œuvre. Ce sont des descriptions précises de ce qu’il observe dans son cadre professionnel : ses œuvres décrivent les navires de pêche, mais aussi les caboteurs, les goélettes. Il représente de la même façon la pêche des huîtres, le déchargement du sable de mer, des pêcheurs à pied, des régates, le départ des Islandais, des échouages ou simplement des navires en mer…
Bien évidemment, les aspects de la vie littorale du Trégor et du Goëlo sont privilégiés, mais d’autres régions sont parfois évoquées, comme Dunkerque ou Cancale.
Deux thèmes majeurs émergent : le développement de la plaisance, avec de nombreuses vues de yachts souvent construits par les chantiers de la région (notamment Laboureur à Paimpol) et les régates. Celles-ci forment le pendant populaire à une plaisance plus élitiste. Elles se multiplient sur les côtes bretonnes depuis le milieu du 19ème siècle. Généralement organisées en été, elles permettent à des navires de s’affronter dans différentes catégories. Ainsi, pour celles de Saint-Brieuc du 15 juillet 1894, on dénombre une course pour les bateaux sabliers, les bateaux de pêche, les bateaux pilotes, les embarcations à voiles appartenant à diverses administrations (douanes, ponts et chaussées, marine nationale…), yachts classés suivant leur tonnage… Ces régates de bateaux de travail séduisent manifestement un public attiré par la confrontation de navires et d’hommes qui leur sont familiers. Parmi les régates représentées, on relève celles de Paimpol, de Perros-Guirec, de Tréguier, de Bréhat ou du Légué.
Après 1895, ce n’est guère que par le biais de ses contributions à des sociétés charitables que Louis Faudacq, homme à la piété profonde, poursuit sa carrière d’illustrateur. Il s’engage dès sa fondation auprès de l’œuvre de l’Adoption des Orphelins de la Mer, fondée en 1897 par les amiraux Albert-Auguste Gicquel des Touches, ancien ministre de la Marine, et Serre. Il en assure la promotion dans la région paimpolaise depuis sa fondation jusqu’à la veille de la première guerre mondiale. Afin d’encourager les dons, il s’adresse aux familles aisées qu’il estime pouvoir toucher et leur fait parvenir à titre de remerciement un dessin original.
On ne peut que regretter que jamais Faudacq n’ait lié de relations avec les grands éditeurs parisiens qui auraient pu lui assurer, au travers d’illustrations de grands textes, une célébrité analogue à celle d’illustrateurs comme Louis Riou, Edouard Yan d’Argent ou Gustave Doré.
Aquarelles et dessins
La grande majorité de l’œuvre de Faudacq est constituée par ses dessins et aquarelles, sur des supports –et donc des formats- très divers. Les premières œuvres qui nous sont parvenues datent des années 1858/1860. Il représente des scènes du littoral du Nord ou du Pas-de-Calais sans négliger pour autant l’arrière-pays et notamment des monuments et divers sites de l’intérieur.
Il travaille en Bretagne dès avant son affectation en 1868, sans doute à l’occasion de congés, représentant des scènes rurales et littorales. Ses thèmes de prédilection sont des scènes de la vie quotidienne comme les foires et marchés, les animaux mais aussi bien évidemment toute la vie portuaire et littorale. Doué d’un véritable sens de l’observation, il nous laisse une œuvre immense, témoignant de la vie d’une région qu’il connaît intimement.
Une grande partie de ses travaux est constituée de croquis réalisés sur le motif, parfois rehaussés à l’aquarelle, où l’on trouve de nombreuses notes relatives aux couleurs. Attentif au sujet mais aussi à l’environnement géographique, il peut parfois se concentrer sur un détail, une position, une manœuvre d’un navire. Si les paysages pittoresques, comme les monuments religieux et profanes (en particulier manoirs, fontaines ou chapelles) abondent dans ses travaux, l’aspect le plus intéressant de son œuvre réside sans doute dans le précieux témoignage qu’il apporte aux transformations d’une région littorale. Les évolutions socio-économiques comme techniques ne lui échappent pas, telles la transformation du cabotage, l’apparition et le développement de la grande pêche vers Islande ou Terre-Neuve, sans négliger les petites pêches côtières ou d’estran, les activités agro-maritimes comme l’ostréiculture ou la récolte des goémons.
Il reprend dans son atelier certains de ses croquis pour en livrer des versions beaucoup plus abouties, préparatoires à des gravures. Là, les détails foisonnent et une attention minutieuse est apportée à leur réalisation. Faudacq a publié près d’une centaine d’eaux-fortes de petit format, majoritairement consacrées à des sujets maritimes. Une partie d’entre elles sont en fait interprétées par Eugène Guyot, le galeriste de la Librairie de l’Art moderne qui les diffuse dans les milieux artistiques parisiens. Cependant, leur très faible tirage ne permet pas à leur auteur de connaître une notoriété au-delà d’un cercle restreint.
Une œuvre oubliée
Jusqu’à une date très récente, l’œuvre de Faudacq est restée dans un relatif anonymat. Les amateurs de marine connaissent ses illustrations pour le Yacht, mais la variété et l’étendue de ses travaux n’ont pas été portées à la connaissance du grand public.
Pourtant, peu de temps après le décès de Faudacq, le peintre Paul Signac - qui collectionnait ses œuvres- veut faire connaître son travail. Il tente dans les années 1920 d’organiser une exposition rétrospective, s‘enthousiasmant même : « notre propagande est active, on commence à parler de Faudacq ». Cependant, la situation de crise du marché de l’art de l’entre-deux-guerres ne permet pas la réalisation de ce projet. Signac décède en 1935 et malgré des tentatives ultérieures, notamment de la part de la famille d’Armand Dayot, Faudacq sombre peu à peu dans l’oubli.
C’est avec la parution en 2003 d’un ouvrage qui lui est consacré, et la redécouverte d’un important fonds familial que Faudacq accède peu à peu à la place qui lui revient : l’œuvre de Faudacq est avant tout à considérer comme un témoignage unique de la vie rurale et maritime des deux pays du Trégor et du Goëlo dans la seconde moitié du 19ème siècle.
Louis Faudacq – biographie
1840 (19 mai) : naissance de Louis-Marie Faudacq à Givet (Ardennes)
1858 : intègre l’administration des Douanes. Entre 1858 et 1868, il est successivement en poste à Mardick, Dunkerque, Oost-Cappel, Grande Synthe, Riscontont et Labrouckstade.
1868 : affectation à Cancale (février) puis à Lézardrieux (mai).
1874 (février) : parution de l’article « Les amendements et engrais de mer en Bretagne, illustré de cinq gravures dans « L’illustration ». Il poursuit épisodiquement sa collaboration à cet hebdomadaire.
1875 (octobre) : parution de l’article, illustré de gravures, qu’il consacre à la pêche des huîtres du journal « Sur terre et sur mer, journal hebdomadaire de voyages et d’aventures».
1878 : première participation au Salon des Artistes français.
1883 : affectation à Tréguier jusqu’à sa retraite (1er juillet 1900)
1886-1894 : collaboration à la revue « Le Yacht ».
1897 : début de sa collaboration à La Société des Œuvres de Mer : illustration de cartes postales, du Bulletin, dons d’œuvres…
1902 : installation à Ploubazlanec. Un de ses dessins est retenu pour illustrer « L’âme bretonne » de Charles Le Goffic .
1910 : réalisation des cartons de deux vitraux de l’église Notre-Dame de Bonne Nouvelle à Paimpol
1916 : il meurt à son domicile le 31 mai.
Quelques Oeuvres de l'artiste
Vous détenez une œuvre et souhaitez la vendre, la faire estimer ou la faire restaurer ? Vous désirez acquérir une œuvre de l’artiste ? Nous sommes là pour répondre à vos demandes.