René Quillivic
Sculpteur breton
1879-1969
René Quillivic est sans nul doute l’un des plus brillants représentants de ce que l’on a pu considérer comme l’école bretonne de sculpture du 20ème siècle. Né en 1879 à Plouhinec dans un milieu modeste, il a réussi à force de volonté à acquérir une stature nationale, incarnant dans son art sa Bretagne natale. Pourtant, son œuvre est trop souvent réduite à la seule dimension des monuments aux morts, qui ne concernent qu’une période de quelques années de sa production. On oublie trop souvent qu’avant toutes choses, René Quillivic est un artiste complet, dont la carrière durant plus de soixante ans, jusqu’à son décès dans son atelier en 1969. Sculpteur certes, mais aussi peintre, graveur ou céramiste, c’est donc à la redécouverte de l’une des figures emblématiques du monde des arts de Bretagne que cet ouvrage vous convie.
René Quillivic naît le 13 mai 1879 à Plouhinec, commune du cap Sizun. C’est le dernier enfant du couple formé par Jacques Yves Quillivic (1836-1902) et Marie-Françoise Brénéol (1835-1909). Son père, comme nombre d’habitants du littoral de l’époque exerce plusieurs métiers: il est maçon, mais embarque lors des saisons de pêche dans le petit port sardinier de Poulgoazec. Son fils René l’accompagne dès l’âge de 12 ans, pensant embrasser la carrière de marin. Cependant, leur navire ayant fait naufrage, sa mère parvient à le convaincre de suivre une autre voie professionnelle et, en 1897, il entre comme apprenti chez un charpentier qui œuvre également comme menuisier dans sa commune d’origine. Il y apprend la sculpture d’ornementation et y acquiert tout un vocabulaire artistique qu’il réutilise par la suite. II relate cette période en 1909 : « deux années, je décorais des bahuts avec des figures, des rosaces, des étoiles. Sans le savoir, j’y cherchais la mienne, comme autrefois sur la mer. J’amusais les jours à refouiller à plein bois la parure celtique de nos vénérables lits-sépulcres. Et déjà, on me connaissait un peu. (…) Il se considère heureux de tracer en paix mes bonhommes à larges chapeaux, mes bigoudènes tournant à la danse comme des toupies et mes finaudes commères de marchés. »
Ses dispositions lui permettent de devenir compagnon du tour de France et, bien que ne parlant alors qu’essentiellement le breton, il se rend successivement à Lorient, en Vendée, à Blois, Orléans, puis arrive à Paris pour travailler sur les chantiers de l’exposition universelle de 1900. Il se rend ensuite à Lyon, puis en Avignon, découvrant « le Midi et son rayonnement de Paradis ». Revenu à Plouhinec après son service militaire au Mans, au 117e de ligne, il lui faut trouver un métier et Quillivic envisage alors d’intégrer la Marine nationale comme menuisier à l’arsenal de Lorient. S’il réussit les épreuves de charpentier et de menuisier, il échoue à celle de … sculpteur !
Son père décédé, il est décidé à devenir artiste peintre : « cela m’empoigne en 1903 comme une fièvre, cela ne me lâchera plus, je suis pris[i]. » Il s’installe alors à Paris, 38, rue Dauphine et suit les cours de modelage de l’école Boulle, bien que ce soit le hasard qui le dirigé vers l’atelier de sculpture alors que c’était aux cours de peinture qu’il était décidé à se rendre. Parallèlement, il suit également des cours de peinture auprès d’Henri-Georges Charrier (1859-1950).
Il tente également le concours d’entrée à l’École nationale supérieure des arts décoratifs. Cependant, il faut bien vivre et il travaille dans la journée comme menuisier. En août 1903, Quillivic reçoit une aide du conseil général de 200 fr. Cette aide financière est renouvelée en 1904, puis en 1905 et, en 1906-1907 il recevra 300 Fr. par trimestre, ce qui lui permet alors de vivre bien mieux et de s’installer au 2, passage de Dantzig (XVe arrondissement). Cette bourse aurait été accordée grâce à l’intercession de Georges le Bail (1857-1937), député radical-socialiste du Finistère, ainsi que d’Albert Louppe (1856-1927), conseiller général du Finistère, qui compteront parmi ses plus fidèles soutiens.
Il finit par intégrer l’atelier d’Antonin Mercié (1845-1916) à l’école des Beaux-Arts qu’il ne fréquente que par intermittence, vraisemblablement jusqu’en 1905. Un certificat de l’école fait mention de son peu d’assiduité entre octobre 1903 et mars 1904, mais cependant souligne qu’aptitudes comme progrès sont « excellents ». Ceci est confirmé par Quillivic lui-même, qui raconte que Mercié appréciait son travail : « « regardez celui-là ! Il faisait des meubles chez lui. Voyez comme c’est senti ! ». Je rougissais. Mais aux concours, devant le jury, le Breton restait au rebut. Etait-ce ma faute ? Je ne comprenais goutte aux sujets. Un nommé Icare dont les ailes fondent et qui tombe par terre. Hélène et la prise de Troie, Oreste et les Furies ! … Que vous dire ? Je lisais bien Homère de mon mieux, jusqu’à deux heures du matin, mais malgré tout, l’argile aux doigts, je restais là devant la sellette, tout dépaysé ! » Afin de réduire le décalage culturel qu’il constate avec ses camarades et ses enseignants, il redouble d’efforts pour le combler et met à profit son temps libre pour se rendre dans les musées. C’est là que, selon Fernand Le Chuiton, « il fut un assidu au Louvre où il restait médusé devant les chefs-d’œuvre accumulés ; la sculpture surtout l’attirait et il médita longtemps devant les merveilles des sculpteurs grecs et égyptiens. Il savait bien que lui aussi avait son mot à dire, le feu intérieur qui brûlait en lui s’attisait toujours plus. Le sort en était jeté, il serait artiste et sculpteur. » Il fréquente avec la même intensité les bibliothèques : « le soir venu, il se précipitait à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, où il parcourait avidement mais sans méthode tous les ouvrages qui lui tombaient sous les yeux. Parfois découragé, il décide de finalement de suivre sa propre voie : je retournais aux métiers, sculptant pour moi, chez moi, à ma façon avec la nature pour maître. Pardon Monsieur Mercié ! »
Il revient fréquemment à Plouhinec dans les années 1905-1907 où sa mère, sans doute inquiète du devenir de son fils, se moque : « on te verra vendre des saints en plâtre dans les hameaux ! » Mais Quillivic tient bon et réalise alors de nombreuses sculptures : bustes de sa mère, de cousines, d’enfants du voisinage ou de personnages pittoresques comme Victor l’aveugle. Cette période est sans nul doute l’une des plus prolifiques de l’artiste : son style s’affine, se trouve enfin et nombre de ses plus fameuses créations y prennent place.
Renouant avec ses années de formation, il réalise des boiseries et panneaux décoratifs pour le manoir de Kerhuel en Plonéour-Lanvern qu’il expose au Salon des artistes français de 1907 : « il n’est pas jusqu’aux bretonneries de M. Quillivic qui ne doive au bois où elles furent taillées quelque rude attrait. » Mais il présente également Les Fumeuses de Plozévet, « où s’exprime, l’attitude des corps et le vide des physionomies, cette particularité morale des paysans, dont la pensée, liée aux gestes de labeur, se suspend dès que les membres n’agissent plus. »
L’année suivante, il expose au Salon des artistes Français deux statues : le bronze de La Brodeuse de Pont-l’Abbé et le plâtre des Sonneurs de Pont-l’Abbé. La première œuvre est achetée par Edmond de Rothschild (1845-1934) pour l’offrir au musée du Luxembourg. Quillivic obtient pour cette sculpture une médaille de seconde classe qui lui permet d’obtenir du conseil supérieur des Beaux-arts l’une des trois bourses de voyage réservées à la sculpture. Il se rend alors en Italie, découvre Venise, Florence et Gênes, y visite les musées, mais ne se sent finalement que peu touché par cet art qu’il considère comme trop académique, « trop subtil et trop mièvre ».
Quant aux sonneurs, ce groupe – représentant deux sonneurs bigoudens aveugles – a été exécuté dans l’atelier de la rue Falguière. René Quillivic décide de le faire fondre en bronze chez Durenne à Paris, grâce à la vente d’un champ familial route de Pont-Croix. Contrairement à ses espérances, l’œuvre n’est pas achetée par l’État. Elle est entreposée dans un premier temps sur un terrain de Locmaria, situé près de la faïencerie HB, puis dans la cheminée de la maison familiale de Plouhinec jusqu’en 1937, date à laquelle Les Sonneurs ont été achetés par l’État et mis en dépôt à Plozévet. L’inauguration du monument a eu lieu en août 1937, par Jean Zay, ministre de l’éducation nationale.
En 1909, âgé de 30 ans, René Quillivic expose pour la première fois seul, dans une prestigieuse galerie parisienne, Bernheim jeune. Il y présente 28 tableaux et dessins, deux céramiques mais aussi, et surtout, 47 sculptures, dont certaines seront plus tard éditées par la faïencerie HB. Cette exposition est la confirmation éclatante de son talent et est abondamment commentée par les critiques. Ses sculptures « types bretons, fillettes surtout, d’une fantaisie et d’une vérité délicieuses. C’est la vie même, tantôt brutale, quasi bestiale, pleine de rêve parfois et émouvante. L’État a acquis La Timide, une tête mignonne et suave. Il a très bien fait, René Quillivic est une rare nature d’artiste. » Cette série de portraits peut parfois être rapprochée du travail de Rodin sur les expressions, la tête littéralement émergeant du bloc de pierre.
En 1910, il se rend à Alger et s’y lie d’amitié avec le peintre Jules Migonney (1879-1929), pensionnaire de la villa Abd-el-Tif de 1909 à 1911. Il réalise quelques sculptures d’inspiration maghrébines, comme un buste de femme de bronze ou un groupe Les Fatmas, exposé au salon d’automne de la même année. Il se serait également rendu en Belgique à la même période, sans doute pour y étudier l’art des primitifs flamands.
Son envoi au Salon d’automne de 1910 est diversement apprécié. Pour certains, le choc est rude : « je regrette d’avoir trouvé la signature d’un artiste que j’estime – M. Quillivic- le délicieux statuaire des petites « bigouden »- au bas d’une figure informe et déplaisante, qui offense le bon goût. » Le critique de L’Aurore va même plus loin, qualifiant « d’horreurs » les deux envois de l’artiste : « il est possible qu’il existe des femmes aussi repoussantes dans leur ensemble, mais vraiment, à quoi bon les prendre pour modèles d’œuvres d’art, si l’on veut exprimer simplement la réalité ? Un monstre peut, par le génie de l’artiste, devenir un symbole sublime Mais il faut que cette monstruosité soit idéalisée, et ne devienne pas une exacte copie du modèle. » Pour d’autres, bien au contraire, « La tentative si audacieuse de statuaire burlesque de M. Quillivic. Sa Fécondité est hilarante au possible, avec cependant un fond d’observation, âpre même »
Ces premiers succès vont lui permettre de s’installer dans un atelier plus vaste au 59, avenue de Saxe (VIIe arrondissement), avant de se fixer en 1910 dans l’atelier du 9, cité Falguière (XVe arrondissement) où il habite avec sa famille jusqu’à leur aménagement dans le XVIe arrondissement. Il obtient, en juillet 1923, un permis de construire pour une maison de deux étages au 73, boulevard de Montmorency qui sera bâtie par l’architecte Pierre Patout. Le projet initial sera amendé en janvier 1924 et la maison est surélevée d’un étage avant d’être restructurée par l’architecte Feibel en mai 1930 pour y installer son atelier.
La guerre achevée, la vie personnelle de René Quillivic change : il se marie en 1919 avec une artiste originaire de la région de Carpentras, Alphonsine Pécoul, et devient la même année chevalier de la Légion d’Honneur[i]. C’est un artiste reconnu qui poursuit sa carrière dans les salons parisiens où il expose régulièrement, que cela soit au Salon de la société nationale des beaux-arts ou au Salon d’automne.
Pourtant, c’est la Bretagne qui va accueillir une partie importante de son œuvre : les monuments commémoratifs de la Grande guerre. Il devient alors, et pour longtemps, « l’imagier de la douleur », étiquette lourde à porter, et réductrice. L’expression apparaît lors de l’inauguration du monument de la pointe Saint-Mathieu en 1927 et réapparaît à de nombreuses reprises. Elle obtient un tel succès que des pans entiers de son œuvre restent depuis dans une ombre relative. Il est celui parmi les artistes bretons, celui qui aura le plus produit de monuments, bien plus que François Bazin (1897-1956), Émile-Jean Armel-Beaufils(1882-1952), Emmanuel Guérin ou encore Francis Renaud (1887-1973), pour ne citer que les plus célèbres. On ne saurait nier que la douleur et le deuil sont des dimensions importantes du travail – y compris de gravure- de Quillivic : sa famille a été durement frappée au cours de sa jeunesse et il n’est pas rare que les marins des pays bigouden et du Cap Sizun périssent en mer. René Quillivic aura d’ailleurs toujours eu la volonté de rendre hommage aux disparus et à leur famille.
Pourquoi René Quillivic a-t-il rencontré autant de succès auprès des municipalités désireuses de se doter de monuments commémoratifs ? En premier lieu, nous devons souligner l’originalité de ses productions, car même si il ne peut totalement éviter l’évocation du militaire tombé pour la patrie (poilu ou marin), Quillivic fait le choix de représenter les familles endeuillées. Ceci n’alla pas toujours sans poser de problèmes comme il l’explique à François Ménez en 1943 à propos du monument de Carhaix. Une fois le modèle choisi, il faut le décider à poser « pour quelques séances, ces modèles occasionnels. Tous, du même geste et de la même voix commençaient par se récuser […] Il fallait tous les efforts répétés de M. Lancien (maire de Carhaix) pour leur représenter que, en acceptant de poser dans de telles circonstances, ils accomplissaient une action méritoire. Ainsi, finissaient t-ils par céder. Encore était-ce à la condition que le portrait ne fut pas trop ressemblant, sans quoi, mus par le même scrupule, ils se dérobaient : tout le monde va me reconnaître, c’est pêché mortel. Par la suite, ces résistances s’affaiblirent. Il advint même que dans certaines communes, en particulier de la région littorale, le fait d’être choisie pour figurer dans le monument aux morts […] fut considéré comme un honneur et, pour cette raison, disputé. »
En second lieu, Quillivic décide de travailler une pierre typiquement bretonne, la kersantite, qu’il découvre à l’occasion de sa première commande pour le monument de Pont-Scorff, par l’intermédiaire du sculpteur landernéen Donnart, avec qui il collabore également pour celui de Saint-Pol-de-Léon. C’est le premier artiste moderne d’envergure à utiliser cette pierre, très en vogue dans la sculpture bretonne des xve et xvie siècles qu’il admire tant.
Enfin, René Quillivic a pu compter sur des soutiens de poids. Il faut bien évidemment mentionner l’un de ses maîtres, Albert Bartholomé (1848-1928), qui lui permet de rencontrer l’architecte Charles Chaussepied (1845-1930) et de recevoir sa première commande pour le monument de Pont-Scorff, puis pour celui de Saint-Pol-de-Léon. C’est encore Georges Le Bail, est un soutien sans failles depuis le début de sa carrière. D’autres vont jouer un rôle plus épisodique, comme la famille de Jeanne Malivel (1895-1926) dans le cas du monument aux morts de Loudéac.
Un rapide liste récapitulative des monuments érigés à cette période est éclairante :
- 1917/1919 : Pont-Scorff
- 1919/1920 : Saint-Pol-de-Léon
- 1920 : Carhaix, Roscoff.
- 1921 : Loudéac, Noeux-les-mines, Plouhinec, Poullaouen, Bannalec, Châteaulin, Scaër
- 1922 : Coray, Fouesnant, Guiclan, Plozévet, Pont-Croix, Pleumeur-Bodou
- Île Saint-Maurice (près de Madagascar)
À cette liste, il faut ajouter des monuments commémoratifs, comme celui de Prosper Proux à Guerlesquin, fruit d’une collaboration entre Quillivic et la statuaire lannionnais Yves Hernot. Commandé en 1913, achevé en 1914, il n’est finalement inauguré qu’en septembre 1919., mais encore une plaque de bronze commandée par le comité à la mémoire de Frédéric Le Guyader à Quimper en 1927
Quillivic n’est pas retenu par Jean-Julien Lemordant, promoteur du Ty Breiz, parmi les artistes qui participent au pavillon de la Bretagne lors de l’exposition des arts décoratifs de 1925, ce qui entraîne une brouille durable entre les deux hommes. Cependant, il expose dans plusieurs autres pavillons et est récompensé pour ses sculptures, ses céramiques et ses gravures sur bois.
À la fin de l’année 1925, René Quillivic s’attelle à la sculpture de ce qui sera l’un de ses principaux monuments commémoratifs : le monument aux marins péris en mer qui sera installé à la pointe Saint-Mathieu. L’une de ses originalités réside dans l’idée de commémorer la mémoire des marins, qu’ils soient d’État, de commerce ou pêcheurs. Cette réalisation impressionnante est née de la volonté conjuguée, au sortir de la guerre, du ministre de la Marine, Georges Leygues, et de l’amiral Guépratte, député du Finistère. Une loi est votée en 1920, mais ne sera promulguée qu’en 1923. Elle est inaugurée le 12 juin 1927, par Georges Leygues. Cette stèle de près de 17 mètres de haut se compose d’une colonne carrée, ornée de médaillons décoratifs et de portraits ; elle est couronnée d’un buste de femme en deuil. Il en existe une maquette à l’hôpital maritime de Lorient.
En 1926, il expose à nouveau dans une galerie parisienne renommée, celle de Louis Carré. Cette exposition présente une fois encore divers aspects de son œuvre : 10 sculptures, 26 peintures et un ensemble de 12 bois gravés qui vont former la Petite histoire bretonne. En 1928, il réalise les statues pour le pont Albert Louppe, qui enjambe l’Elorn. René Quillivic reçoit la commande de quatre sculptures : deux sur la rive cornouaillaise, côté Plougastel et deux sur la rive léonarde sur la commune du Relecq-Kerhuon
Lors du Salon de la Nationale de 1928, Quillivic expose un calvaire breton de près de 5 mètres de hauteur dans le vestibule qui accueille les visiteurs. Destiné à être érigé sur le parvis du Sacré-Cœur de Montmartre en hommage à la Bretagne catholique, un comité d’honneur en vue de son érection est constitué en novembre ou décembre 1928. On y trouve l’amiral Guépratte, le maréchal Foch et la duchesse de Rohan. Un comité de souscription est établi dans chacun des cinq départements bretons. Ce calvaire monumental reprend nombre des travaux antérieurs de Quillivic pour divers monuments aux morts bretons. En dépit de l’enthousiasme des critiques pour ce travail monumental, celui-ci n’aboutit pas. Il est actuellement toujours conservé dans l’atelier de l’artiste.
La décennie suivante voit Quillivic être plus en retrait. La crise des années 1930 n’est pas favorable aux commandes publiques et il n’expose désormais plus qu’au Salon de la Nationale. La critique s’éloigne, lui-même passe plus de temps dans la région de Carpentras. Il offre d’ailleurs au musée de la ville une Maternité ainsi que deux tableaux (Le Mas de la Légière à Sarrians et une Falaise de l’Ouvèze). Dans les années 1930, il aurait envisagé la publication d’un album illustré consacré aux communes du Vaucluse.
Quillivic voyage également en Grèce, en 1934, voyage qu’il commente avec lyrisme pour François Ménez : « ce fut un enivrement, un enthousiasme que je ne saurais traduire. La lumière, dans ce pays que j’avais tant entendu célébrer et dont je craignais, pour cette raison, de rapporter une désillusion, a une qualité qu’elle n’a vraiment nulle part ailleurs, même pas en Provence ou en Italie, où le ciel est cependant bien chaud. Elle donne à toutes choses un relief, une pureté de lignes, une poésie vraiment divine, qui les transfigure. Habitué à son ciel de brume ; un Breton, plus que tout autre, est ébloui par tant de clarté » Il apprécie L’Aurige du musée d’Athènes ou le Jupiter tonnant de Delphes. Il se rend en Corse en 1935, puis aux Baléares en 1936. Il revient exposer au Salon d’automne cette même année, il y participe jusqu’en 1950.
Son style évolue lui aussi, les références bretonnes, même si elles sont encore bien présentes, deviennent plus discrètes. Il va surtout connaître plusieurs déceptions qui seront difficiles à accepter de la part de cet homme indépendant et au caractère bien trempé.
De l’avis général, le pavillon de la Bretagne à l’exposition 1937 fut une réussite éclatante. Pourtant dans la pléiade des artistes qui y exposent, on ne peut que souligner l’absence de Quillivic. Comment l’expliquer ? L’attribution des sculptures a en fait été particulièrement difficile, et souvent modifiée. Ainsi, c’est à Francis Renaud que devait être confiée le totem celtique et Louis-Henri Nicot (1878-1944) devait réaliser un jubé dans la salle de la pensée bretonne. René-Yves Creston (1898-1964) réunit en juin 1936 « les sculpteurs jeunes et vieux afin qu’ils dégagent un peu leur terrain ». La réunion fut houleuse, et Creston écarta publiquement et sans ménagement Quillivic qui ne participa donc pas à cette aventure.
Pourtant, Quillivic avait été pressenti pour une commande pour le pavillon des Chemins de fer, mais il en est brusquement écarté en janvier 1937. Il avait pourtant réalisé une maquette de grande taille de cette œuvre, L’Appel aux Bretons, actuellement exposée au musée des beaux-Arts de Quimper. Il ressent avec une grande amertume cette double éviction.
Dans la lignée du monument de la pointe Saint-Mathieu, Quillivic est chargé, en janvier 1938, par la ville de Saint-Servan de concevoir un mémorial honorant Charcot et son équipage, disparus en 1936. Ce monument a une histoire pour le moins étonnante : commandé en 1938, jamais achevé, il est partiellement installé en 2006 !
Le projet initial est grandiose, devant être « formé d’une colonne de 15 mètres de haut qui sera édifiée à l’entrée du port de Saint-Malo-Saint-Servan, d’où partit tant de fois le vaillant petit navire. A son sommet, on verra une figure de femme pour laquelle René Quillivic a pris comme modèle, à Saint-Servan même, la veuve d’un des marins du Pourquoi-pas ?. À la base de la colonne seront sculptés dans la pierre un médaillon du docteur Charcot et la barre brisée du navire reproduisant la relique authentique conservée au musée de la mer de Dinard[iii]. » Les premiers éléments sont présentés la même année au Salon de la Nationale : « deux reliefs de granit par M. Quillivic viendront décorer un monument à la mémoire de Jean Charcot […] mais les fragments exposés ne reproduisent que le Pourquoi Pas ? et non son capitaine. Des mâts, des cordages, des flots stylisés gravés dans le granit forment de leurs lignes entremêlées des images un peu abstraites, qui n’ont rien de plastique et sont assez proches de certaines réalisations cubistes. » En fait, trois bas-reliefs sont réalisés : un portrait de Charcot, entouré du navire au calme et d’une allégorie du naufrage, proche de ses gravures sur bois.
Le monument ne sera jamais achevé, bien que Quillivic y travaille encore en 1941, et ces trois bas-reliefs sont finalement attribués à Fécamp en 1958. Tout d’abord scellés sur une digue du port, ils sont déplacés en 1969 sur le mur d’entrée de la piscine Charcot, jusqu’à sa destruction en 2004. Ils ont été remis depuis à la ville de Saint-Malo et sont désormais exposés non loin de la tour Solidor.
Quillivic va aussi rendre hommage à certains de ses amis dans le cadre de commandes privées. On peut retrouver ses travaux dans plusieurs cimetières finistériens. Si certains d’entre eux sont des plaques de bronze représentant le défunt (tombe Le Bail à Quimper, Jean Jadé à Audierne) d’autres sont de véritables sculptures comme la tombe de la famille Dupouy à Penmarc’h, pour laquelle René Quillivic, réalise en 1927 à la demande de la famille, une réplique de la statue L’île de Sein de 1914, alors exposée devant le musée du Luxembourg. Signalons encore le cénotaphe de Monseigneur Budes de Guébriant dans la cathédrale de Saint-Pol-de Léon en 1935.
La période de la Seconde Guerre mondiale
Lors du déclenchement des hostilités, Quillivic a 60 ans. Il n’est naturellement pas mobilisé. Au cours des années de guerre, Quillivic n’expose que peu, la plupart du temps dans des expositions de groupes d’artistes bretons, comme celle de la galerie Susse, en novembre 1941. Il y présente trois statuettes et quatre tableaux dont L’Île Tudy, « fresque inoubliable avec ses chevauchées, de nuages rutilants dominant la rentrée des sloops aux voiles multicolores ». Il participe de la même manière à l’exposition d’art régional de Rennes en 1942, ainsi qu’à plusieurs expositions Eost Breiziz à Paris, en compagnie de nombreux Seiz Breur.
Quelques commandes lui parviennent cette année-là : une stèle à la mémoire de Laënnec est mise en place à Paris et la ville de Pontivy se voit attribuer deux statues, l’une d’Armel-Beaufils l’autre de Quillivic qui conçoit une paysanne bretonne. Réalisées en 1942, ces statues ne sont mises en place qu’en 1949. En octobre 1942, il lance dans Ouest-Éclair un appel aux artistes bretons afin de réunir en « une grande corporation les tailleurs de pierre, les imagiers, enfin tous les artisans apparentés par notre métier [afin de] faire revivre la vraie sculpture bretonne. » Il désire aussi la construction d’un palais des corporations à Rennes qui aurait une vocation pédagogique : « ce qu’il faut, c’est redonner à tous les goûts des beaux-arts, c’est animer les villes par des expositions fréquentes, c’est éduquer aussi nos compatriotes pour que l’on ne voit plus une maison se construire sans qu’une pierre taillée la rehausse. » Cette initiative peut sembler étonnante, mais nous pouvons sans doute l’interpréter comme une volonté de ne pas laisser le champ libre à René-Yves Creston, qui participe activement aux activités de l’Institut celtique créé l’année précédente et qui tente d’avoir la haute main sur l’organisation des arts et des artistes en Bretagne…
Il passe une grande partie de la guerre en Bretagne – et notamment à Quimper –, expose en juin 1943 à la librairie celtique à Paris et au mois d’octobre à la galerie Saluden, qui a quitté Brest pour Quimper. Il y présente essentiellement des œuvres récentes, « il n’y a même là que des maquettes d’études plus une pierre d’avant l’autre guerre (très jolie d’ailleurs : une tête de fillette bigoudène en granit rouge de Bourgogne) ». On y retrouve la maquette de la statue de la paysanne pontivyenne.
Il reçoit au mois d’août aussi la commande, à l’initiative d’André Dezarrois (1890-1979), d’un autre monument commémorant Laënnec, que le sculpteur espère voir mettre en place dans le centre de Quimper. Achevé au mois de juin 1944, ce groupe composé d’une sculpture de femme intitulée Mélancolie, surmontée d’un buste de Laënnec est finalement installé à l’hôpital qui porte le même nom avant d’être relégué en 1989 au centre hospitalier de Cornouaille, où il se trouve désormais…
Quillivic peintre
Il semble que le projet initial de René Quillivic, lorsqu’il arrive à Paris, fut de devenir peintre. Ceci expliquerait pourquoi il suit en 1902-1903 des cours auprès du peintre Charrier. Dès 1909, il expose à la galerie Bernheim jeune 36 peintures et un nombre indéterminé de dessins. Ces toiles sont essentiellement des vues d’Audierne ou du Finistère (Douarnenez, Châteauneuf-du-Faou, Ouessant…). Le critique René Blum les considère comme d’un art moins poussé, la composition en est parfois confuse et assez lâche, mais elles affirment un sentiment très juste de l’atmosphère, un goût très curieux de la couleur : plusieurs d’entre elles rappellent certains tableaux de Cézanne : ce n’est pas là, je pense, un mince éloge…. Un autre établit un parallèle avec les sculptures : il a voulu transcrire, par la tâche plutôt que la forme, l’impression que son cerveau a choisie parmi les innombrables impressions émanées d’un paysage. Quelques-unes sont fortement déduites.
Il a la joie en 1924 d’intégrer le corps des peintres officiels de la Marine. C’est une reconnaissance officielle de son travail de peintre et de graveur, mais aussi peut-être pour lui, de son passé de jeune mousse. Il est renouvelé jusqu’en 1941, date à laquelle le gouvernement de Vichy décide de lui retirer son agrément.
Lors de son exposition chez Louis Carré en 1926, il présente là encore des peintures, dont près de la moitié sont consacrées au port d’Audierne, les autres représentent l’île Tudy, l’île aux moines, Pont-Croix, Pont-L’Abbé, Quimper ou Châteauneuf-du Faou. Elles ont été réalisées entre 1909 et 1925. L’exposition de Carpentras de 1934 présente quant à elle deux séries de tableaux : les uns ont pour thème le Comtat Venaissin, les autres sont des marines, essentiellement bretonnes.
René Quillivic aura sans doute réalisé au cours de sa carrière plus d’une centaine de tableaux. Il n’existe pourtant pas de recension exhaustive de cette partie de son œuvre à laquelle il était attaché.
Quillivic graveur
René Quillivic réalise vers 1911 sa première gravure sur bois de fil (Sérénité du matin), technique qu’il utilise exclusivement et qu’il va choisir parce qu’elle permet d’intercaler dans de larges surfaces bues des îlots raffinés de douceur. Comme a pu l’écrire Charles Chassé, chez le graveur, c’est le sculpteur qui se retrouve et se prolonge. La gravure est, pour Quillivic, un prolongement naturel de la sculpture. Il s’agit avant tout d’un travail du bois, mais en deux dimensions cette fois.
Quillivic grave entre cinquante et soixante planches, entre 1911 et 1946 (Breiz ma bro, pour la Galerie Saluden), même si la plupart d’entre elles datent de la période 1918-1928. La presque totalité de ses planches gravées ont, d’une manière ou d’une autre pour thème la Bretagne, et le plus souvent le littoral de la Cornouaille qu’il connaît si bien : on ne connaît qu’une exception, le port de Saint-Tropez. On retrouve également le thème de la femme en deuil. La plupart de ces gravures sont en noir et blanc, bien que certaines soient tirées sur du papier de couleur ou, exceptionnellement, rehaussées. Si les scènes marines (départ de pêche, scènes portuaires, pêche en mer…) représentent près de la moitié des gravures, une autre partie est consacrée à des portraits, souvent individuels, de personnages : soit des femmes- souvent en deuil-, soit des scènes de travail (le tailleur, le voilier, les sonneurs…). Nombre d’entre elles représentent des scènes d’intérieur. Il s’inspire à l’occasion de la Bretagne légendaire, comme avec La Ville d’Ys. On doit également souligner les correspondances, pour ne pas dire le dialogue, entre ses sculptures et ses gravures, mais aussi ses céramiques. Quillivic a parfois représenté l’une de ses sculptures en gravure, sans que l’on puisse savoir si elle est conçue antérieurement ou postérieurement.
L’originalité du travail de Quillivic est soulignée par divers auteurs, dont le graveur Clément Janin (1862-1947) : « j’aime beaucoup les envois de M. Quillivic : il est audacieux et probe. Il parcourt toute la gamme du blanc au noir avec des tailles toujours simples, rarement croisées. Sa vision est neuve. Ses bateaux qui le reflètent restent vrais, malgré l’intensité des reflets. »
La gravure occupe une place suffisamment importante pour l’artiste qu’il ne cesse de présenter ses œuvres dès lors qu’il expose. Dès avril 1919, il expose ses gravures sur bois en compagnie de Morin-Jean (1877-1940) à la galerie Mignon-Massart de Nantes où l’on considère que « Quillivic est grave, fixé dans une interprétation architecturale, profonde, mélancolique. » Lors de l’exposition des peintres d’Armor de 1921, il expose également plusieurs gravures.
Il est donc logique qu’il participe à la refondation de la Société de la gravure originale en 1920. Il y expose à plusieurs reprises ses travaux (14 bois lors de l’exposition de 1922, 8 lors de celle de 1928). On trouve ses œuvres dans les publications de cette société.
C’est comme graveur que Quillivic est récompensé à l’exposition des arts décoratifs de Paris en 1925 et que l’État acquiert un certain nombre de ses oeuvres. L’exposition de 1926 à la galerie Louis Carré va lui permettre de fournir au public une synthèse de son travail de gravure, au travers du recueil intitulé Petite histoire de Bretagne. Celui-ci est constitué de 12 planches réalisées quelques années auparavant. Quillivic ne considère pas ce travail comme secondaire, le fait qu’il présente presque systématiquement ses estampes lors de ses expositions en témoigne, même si peu d’expositions ont y ont été spécifiquement consacrées, hormis celle de novembre 1930 pour « La Bretagne à Paris ».
Quillivic céramiste
L’œuvre de René Quillivic céramiste est essentiellement réalisée à Quimper, ainsi que, très ponctuellement à la manufacture de Sèvres. Il s’exprime en 1929 sur son travail de céramiste, nous permettant de mieux saisir la portée qu’il lui attribue :
La céramique en elle-même, « ne créée pas que des objets usuels pratiques, agréables aux yeux et au toucher, elle est incomparable dans le revêtement mural et sert grandement la cause de l’architecte aujourd’hui. Dans l’objet d’art proprement dit, la belle pièce, placée sur un meuble, qu’il soit riche ou médiocre, dans l’ombre ou la lumière, reste toujours pleine de mystères et de volupté au regard de quiconque a la moindre sensibilité. Son grand avantage est qu’elle s’acquiert pour un prix modique. Elle peut entrer dans la ferme comme dans le manoir et son influence est très étendue. »
Quimper
Les premiers contacts entre René Quillivic et les manufactures quimpéroises remonteraient en 1909, lorsque l’artiste fait éditer, par l’une des deux manufactures quimpéroises (sans doute Henriot) deux œuvres qui sont présentées à son exposition à la galerie Bernheim jeune. Au début de l’année 1911, lorsque le peintre Maxime Maufra (1861-1918) informe Jules Henriot qu’il a l’intention d’exposer, au Salon d’automne de cette année, une salle à manger de bord de mer. La cheminée « serait à exécuter en faïence de chez vous. Quillivic le sculpteur fera la terre et je ferais les colorations en émaux, donc il ne reste que la cuisson – et l’émail blanc. » Ce choix s’explique par la proximité des intervenants qui se connaissent au sein du mouvement régionaliste. Pourtant, pour une raison inconnue, c’est finalement la manufacture HB qui se chargera de cette réalisation.
Même si des projets de collaboration semblent s’amorcer avec la manufacture HB immédiatement avant la Première Guerre mondiale. Il faut attendre 1922 pour que ces contacts se concrétisent. Quillivic a d’ailleurs conçu dès cette date de nombreux objets décoratifs. Dans la guerre commerciale qui oppose Henriot à son concurrent HB, Quillivic va être une prise de choix pour HB : il s’agit pour chacune des entreprises d’attirer des artistes dont la renommée est une vitrine pour la société. HB désire intégrer à ses artistes un sculpteur breton, reconnu, qui serait le pendant de Méheut chez Henriot, tandis que Quillivic a compris qu’il lui fallait se diversifier afin de plus être cet « imagier de la douleur » : la céramique présente alors pour lui l’intérêt de pouvoir diffuser ses œuvres auprès du plus grand nombre et de proposer à un prix moindre tout une gamme de céramiques décoratives.
Le courant passe si bien entre Quillivic et Jules Verlingue que des tractations débutent alors en vue d’établir un contrat entre les deux hommes. Les négociations entre Léon Delcourt, Jules Verlingue (tous deux administrateurs de la faïencerie HB) et René Quillivic débutent en février 1923.
Les tractations sont intenses et l’on voit même Mathurin Méheut (lié à Henriot) intervenir afin de débaucher les artistes qui voudraient travailler avec HB. Il s’adresse ainsi à Jules Henriot en septembre 1923 : « votre dernière lettre m’a surpris et peiné, la collaboration de Quillivic avec vos concurrents m’a peiné et inquiété, j’avais pensé un moment me remettre complètement avec lui et lui proposer une collaboration pour 1924 avec votre maison comme “ firme ”. Je trouve son procédé grossier et peu reconnaissant après ce que vous avez fait pour lui, il eut pu au moins vous en faire part. »
Il reviendra même à la charge au cours du mois de décembre : « je suis arrivé juste à temps chez Nicot l’autre jour (il expédiait à votre concurrent Verlingue toutes ses statuettes bretonnes pour les faire éditer par eux, au pavillon en 1925). Il était temps. Je l’ai vite dissuadé lui disant de rester avec notre groupement et c’est fait, le reste c’est à dire l’arrangement, nous le ferons quand vous viendrez à Paris. Comment ces sacrés marmeaux de la Grande Maison sont-ils renseignés sur ce que nous voulons faire et prennent dans notre tas ? Le soir même j’allais chez Quillivic et, un peu plus, je le ramenais lui aussi au bercail Henriot, il a encore quelques scrupules de les plaquer mais cela n’est peut-être pas impossible. »
Quillivic obtient un atelier dans les combles de la manufacture et aura même droit à sa propre marque « Armorique rustique Quillivic HB Quimper », déposée en 1924, qui sera utilisée pour des plats et objets décoratifs, tandis que les pièces de formes seront signées « Quillivic HB Quimper ». En 1935, un nouveau contrat est signé entre HB et Quillivic (qui sera renouvelé en 1945), qui garantissent à l’artiste pas moins de 25% de droits d’auteurs.
Vers 1925, il conçoit toute une série de plats et d’assiettes très colorés, qui sont la transposition céramique des motifs de ses gravures : Les Volutes de la mer, Les Bateaux en pêche et Le Soleil rayonnant y sont souvent représentés. Ces décors sont souvent réalisés par Paul Fouillen, alors chef d’atelier à la manufacture HB.
Les pièces de formes sont pour une grande part des éditions céramiques d’œuvres antérieures (la série des bustes reprend pour partie ceux exposés chez Bernheim en 1909), de maquettes de monuments funéraires (comme celui de Fouesnant), mais également des créations originales comme Le Chien à l’écuelle, réalisé en 1927, le râtelier à pipes La Lune de Landerneau ou encore la jardinière Gavotte de Plozévet, sans doute inspirée par ses travaux de sculpture sur bois. L’édition en faïence – ou en grès- permet une diffusion des œuvres de l’artiste auprès d’un large public.
Le tarif de la manufacture HB de 1931 permet de recenser pas moins d’une cinquantaine d’œuvres de l’artiste dont bon nombre d’objets décoratifs comme le Pot à tabac Jean Bart, Le Pichet du Roi Gradlon, La Coupe de Merlin, les vases saint Guénolé et saint Corentin, Le Bol celtique ou L’Écuelle bardique…
Il poursuit, bien qu’à un rythme moins soutenu, sa collaboration avec HB jusqu’à la guerre, proposant des pièces plus importantes comme le bénitier vierge à l’enfant (1935) ou un Saint Corentin en 1944. Il réalise également une plaque en hommage au général De Gaulle.
Son exposition en novembre 1946 à la galerie Saluden de Quimper n’est consacrée qu’à la céramique quimpéroise. On y trouve « des plats décorés de masques en relief dont l’un représente la mère de l’artiste et dont l’aspect fait songer aux compositions de Bernard Palissy ; assiettes à décor de perles et éléments géométriques avec inscriptions bretonnes ; assiettes à décor de broderies, croix à bénitier du type celtique ; coupes, larges plateaux circulaires qui évoquent des soleils…» Quillivic a choisi de ne présenter aucune statuette à cette exposition : « il a pensé avec raison qu’un Breton de 1946 pouvait traiter la céramique dans le même esprit où jadis travaillaient le bois ses ancêtres. Usant de la terre cuite de de l’émail, il dispose d’un élément décoratif puissant, la couleur : il l’emploie avec maîtrise. Ce sculpteur est un peintre. Il ne fuit pas le bariolage. Il le recherche. »
L’exposition au musée de la Faïence de Quimper, en 1997, a présenté de très nombreuses pièces issues de ses recherches plastiques dans les années 1950-1960. Méconnue, cette production n’en est pas moins intéressante : Quillivic prend de grandes libertés par rapport à la sculpture, multipliant pièces uniques, essais d’émail, formes parfois foisonnantes… Certaines sont dans la droite ligne de sa production d’avant-guerre (par exemple le bol Curiosolites ou la Skudell Vraz), tandis que d’autres sont la preuve de l’imagination fertile de l’artiste, comme son Bernard-l’ermite, ses nombreux pichets, hanaps ou autres vases magiques tandis qu’il s’essaie avec succès à la conception de bijoux de céramique entre 1955 et 1956. Ses productions continuent à être éditées par HB, même si elles sont parfois décorées de couleurs qui ont pu heurter l’artiste…
La collaboration entre René Quillivic et HB s’arrête en 1962, elle aura duré une quarantaine d’années et l’artiste est alors âgé de 83 ans.
La manufacture de Sèvres
Les rapports de René Quillivic avec la manufacture nationale de Sèvres ne sont que très ténus : quatre œuvres ont été produites entre 1925 et 1948. Pourtant, par leur qualité, elles sont sans doute parmi les plus belles réussites de l’artiste dans le domaine de la céramique. Travailler pour la manufacture nationale de Sèvres est sans nul doute une reconnaissance du travail d’un artiste. René Quillivic va y produire certaines de ses plus belles pièces y réalise entre 1925 et 1938 :
QUILLIVIC SCULPTEUR BRETON
Quels sont les rapports de Quillivic avec la Bretagne ? Breton, Quillivic l’est assurément, même s’il habite Paris depuis le début du siècle. Il effectue de fréquents séjours dans sa terre natale et achète même un terrain à Quimper – qui est devenu aujourd’hui le jardin du Prieuré de Locmaria – en vue d’y construire une maison afin d’y séjourner lors de ses séances de travail à la faïencerie HB toute proche. C’est là que fut entreposé le groupe des Sonneurs de bronze qu’il espérait vendre à la ville de Quimper. Le climat breton ne convenant guère à son épouse d’origine méridionale étant donné qu’il avait déjà fait construire sa demeure parisienne du boulevard de Montmorency, le terrain fut revendu à la ville vers 1925.
Tous les critiques font de lui le sculpteur breton par excellence, tombant souvent dans l’excès d’une certaine facilité. Il suffit pour s’en convaincre de ne citer que quelques exemples : il participe au Salon de la société nationale des beaux-arts de 1918 : « M. Quillivic construit pour la pierre des statues solides et frustres comme la Bretagne elle-même ».
Mais il est certain que Quillivic s’identifie à la Bretagne, Il considère en 1929, évoquant son activité de céramiste, « que l’art provincial était en pleine décadence, écrasé par le prestige de Paris, lorsque ma collaboration me fut demandée (par la faïencerie HB). J’entends lutter de tout mon pouvoir pour l’art breton. Si l’art a une portée internationale, il a d’abord une patrie, il est l’expression d’une région, d’une race. J’espère un jour que l’art breton s’imposera à l’attention du monde. Alors on ne cessera de voir dans les Celtes que de négligeables primitifs… »
Cet art breton, il entend l’incarner et le défendre, ce qui peut expliquer la virulence des réactions qu’il manifeste comme lorsqu’il n’obtient pas un marché pour un monument en 1920 : « à Penmarc’h on fait un monument aux morts pour le pays et c’est un Parisien né à Rennes qui fait ce travail. Que pensez-vous de mon résultat comme art régional ? C’est décourageant…. » Il considère en effet qu’il est le plus qualifié : « je ne demande pas mieux que de faire le monument de Loudéac, mais ma situation dans l’art régional m’empêche de prendre part aux concours, ni de quémander du travail à mes compatriotes, ayant consacré ma vie à la tradition artistique Bretonne. J’entends aussi que mes compatriotes aient confiance en moi. » Conscient de sa valeur, il ajoute même que « si ces braves gens (la municipalité de Loudéac) avaient mis leur monument au concours, certainement le projet le plus vulgaire et le plus décadent, aurait eu leur préférence. Heureusement, ce n’est pas cela. Le costume de Loudéac est sauvé et je tiens à faire de cette jeune femme symbolique l’une de mes plus belles statues dans le granit de kersanton, héraldique et pérennee.
Si René Quillivic est encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus célèbres sculpteurs bretons du 20ème siècle, il le doit pour une part aux monuments commémoratifs que l’on trouve dans les communes bretonnes, essentiellement finistériennes. Il est cependant restrictif de ne retenir que cet aspect d’une œuvre qui s’étend sur près de soixante ans. Certaines de ses pièces témoignent également d’un solide sens de l’humour, parfois provocateur. Quillivic a travaillé avec talent le marbre, diverses pierres, le métal, mais ce fut également un graveur reconnu et un peintre qui reste à redécouvrir. Homme de convictions, solitaire, doté d’un caractère bien trempé, il souffrit du relatif désintérêt des institutions et de la critique à partir des années 1930. Il laisse une œuvre parfois étonnante, pleine d’humanité qui est en lien direct avec son époque.
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